Event # 1 : Vernissage au Guggenheim

Manifestement, quelqu'un s'était chargé de me déplacer. Enfin, je crois...je ne pouvais pas en être tout à fait certaine. Des bruits lointains et étouffés me parvenaient, emplissant ma tête d'un véritable vacarme alors que je sortais lentement du profond silence qui m'avait enveloppé durant ce laps de temps conséquent où j'avais été inconsciente. C'était beaucoup trop fort. Beaucoup trop dense. Je n'arrivais pas à distinguer et isoler les sons, et cela s'apparentait davantage à un bourdonnement sourd qu'à autre chose. Respirer faisait mal. Me concentrer faisait mal. Ne rien faire faisait mal. Le goût âcre du sang m'irritait la gorge et je sentais son odeur de fer partout. Autour de moi, et sur moi. Celui de l'alcool aussi. Oh, j'étais si fatiguée...
Je gardais les yeux fermés, m'efforçant péniblement de comprendre les choses, ce qui m'était arrivé. Tentant mentalement de construire et combler les zones d'ombres qui étaient relatives à ces dernières heures. J'avais des fourmillements dans les doigts, mais je ne parvenais pas à les remuer et je ressentais une gène dans le bras droit. C'était loin d'être agréable. La dernière chose dont je me souvienne, c'était le froid qui m'enveloppait aussi lentement que sûrement, ou peut-être était-ce parce que j'avais toujours aussi froid maintenant, que je faisais ce parallèle ? Je réprimais un frisson, grelotant imperceptiblement sous ce chemisier de satin qui me collait à la peau, désormais imbibé de sang. Il y avait eu une voix aussi...non, deux. Deux voix. Elles étaient proches, mais je n'avais pas été en mesure de leur répondre. Je crois me souvenir que leurs timbres m'étaient familier...c'était toujours assez confus. Au fur et à mesure des minutes qui passaient, les sons se clarifièrent et je fus bientôt capable d'entendre quelques bribes de dialogue à côté de moi. Certainement les deux personnes dont je me souvenais. Au prix d'un effort considérable et avec la pénible sensation d'avoir été tirée de force d'un sommeil trop profond, j'ouvris enfin les yeux et tournais alors doucement la tête dans leur direction.

Il y avait un homme, vêtu d'un uniforme de commis, et une jeune femme aux longs cheveux bruns et en tenue de soirée. Jamais vu de toute ma vie, ni même dans la précédente que je venais de quitter. Ou alors ils ne m'avaient pas fait assez grande impression pour que je m'en souvienne. Mes souvenirs étaient encore assez chaotique de ce côté-là... Je pense qu'ils étaient là depuis un moment : l'homme avait fini par prendre un tabouret de cuisine pour s'installer à côté de moi, bras tendu collé au mien pour visiblement me faire don de son sang. La femme quant à elle, s'assurait de la bonne marche de la transfusion, l'air éreinté. Je pense qu'elle s'est occupée de moi. Je les observais à tour de rôle, mémorisant leurs visages.❝...merci.❞ parvins-je à souffler, en forçant pour ce soit suffisamment audible. La tentative me fit serrer les dents, ravivant les douleurs. C'était court, mais il y avait l'essentiel. Par ailleurs, il m'était encore difficile de proposer quelque chose de mieux. Le discours sera pour une prochaine fois.
Je me sentais complètement perdue, ainsi étendue dans un endroit inconnu, victime taumatismes inconnus et avec des gens inconnus autour de moi. Je n'avais aucune idée de ce que je pouvais bien faire là, allongée sur une table de cuisine, ni même ce qui avait réellement provoqué mon état. Il y avait énormément de va-et-vient, mais hélas, personne que je ne n'étais à-même de reconnaître. Je fermais les yeux à nouveau, partagée entre la déception, l'inquiétude et peut-être même un semblant de panique que je me refusais à avouer. Qu'était-il arrivé à Sheppard ? A Lond ? A Collins ? Je les avais appelé dans mon oreillette, je commençais à m'en souvenir. Etaient-ils....? Non, il ne pouvait en être ainsi...Je ne pouvais qu'espérer que ça ne soit pas le cas, ayant vraisemblablement perdu mon oreillette durant ma période d'inconscience. Peut-être qu'on me l'avait prise ? Ou que la médecin me l'avait retirée ? Je n'aurais sans doute jamais la réponse mais ce n'était pas le plus important. Une nouvelle fois, je fus parcourue d'un frisson et je me rendis alors compte -avec horreur- que mon chemisier avait été déboutonné de part en part afin de pouvoir extraire les carreaux de flèches en toute liberté. Une rougeur fugace passa sur mes joues l'espace d'une seconde, signe de mon malaise évident mais qui contrasta avec la pâleur de mon teint actuel. Les doigts toujours engourdis, je levais laborieusement le bras gauche -celui qui n'était pas mobilisé par la transfusion- et m'efforça tant bien que mal de reboutonner mon haut, afin de cacher cette partie de moi que je ne montrais généralement pas en public. D'autant plus qu'elle n'était clairement pas à son avantage, champs de sutures et pourvue d'un cataplasme au niveau de la poitrine. Bien-sûr, j'avais déjà été blessée au cours de mes missions pour le BEM, mais jamais aussi gravement que je ne l'avais été aujourd'hui, et je devinais déjà le calvaire que deviendrait ma convalescence. Maladroitement, j'arrivais finalement à replacer l'un des boutons du chemisier, limitant quelque peu cette atteinte à ma pudeur. Je me focalisais sur ma pénible mission, essayant de conserver un semblant de dignité en évitant de croiser le regard de la médecin et du commis, qui s'étaient assez rincé l'œil et qui en avaient déjà bien assez vu comme ça. Je veux bien tout ce qu'on veut, mais ça non.

Tour 7 → Archers : 4/6 • Lion de Némée: ✓ • Médusa : ✓

Rez-de-chaussée

J’étais lessivée, fatiguée, éreintée. Je venais de mettre en place le kit de transfusion entre le commis et l’employée du BEM. Malgré tous les sentiments de colère que je pouvais ressentir contre cette institution, je ne pouvais pas me résoudre la laisser mourir sous mes yeux alors que je pouvais l’aider.
Je regardai la cuisine qui m’avait bien servie de service d’urgences improvisé. Il y avait des poubelles qui débordaient dans tous les coins, des cadavres de bouteilles de vodka laissés en vrac là où elles avaient servi pour la dernière fois.

Une fois la transfusion terminée, je finis de ranger le matériel et me posai sur une chaise. La première fois depuis des heures. Je pris alors conscience de l’horreur que nous avions subie durant cette soirée. Qu’est ce qui avait pu pousser Hansen à perdre son self-control et ainsi donner vie à ses tableaux ?
Je me mis à croire que je ne connaîtrais jamais la réponse et je ne sus pas si je voulais vraiment le savoir ou non. Là, maintenant, tout de suite, je voulais savoir comment allait se terminer la soirée, comment s’en sortait les autres demi-dieux présents au musée et surtout revoir Angel.

Mon Marsien, qui était parti à nouveau dans l’arène alors que je venais de finir ses sutures, qui m’avait proposé un mariage alors qu’on se connaissait à peine, qui m’avait embrassé comme jamais personne ne l’avait fait jusque-là. Il fallait vraiment qu’on discutât lui et moi.
Le silence et le calme semblaient être revenus dans le hall du musée. Bonne ou mauvais nouvelle ? Le calme avant une nouvelle tempête plus grosse et plus meurtrière que la précédente ? Je croisais les doigts pour que ce fut enfin la fin des ennuis. Nous ne pourrions pas assurer une deuxième vague de blessés, toutes mes aides du soir étaient exténuées.

Du bruit se fit entendre en provenance de l’entrée principale, comme si on essayait de forcer les portes d’entrée. Je me dirigeai en direction de la sortie des cuisines et je vis entrer des dizaines de brancards et d’ambulanciers.
Je soufflai de soulagement et leur fis signe de venir dans ma direction. Je retournai auprès de mes patients et attrapai sur une table les renseignements pris par mes prédisposés à la tâche. Je fis des transmissions rapides sur la situation de chacun.

« C’est moi qui ai pris en charge les personnes blessées lors de cette soirée. Je suis chirurgien orthopédique au Queens Hospital Center et j’ai une spécialisation urgences. Il y a eu beaucoup de blessés légers avec quelques égratignures et en état de choc.
Les plus touchés sont sur les plans de travail de la cuisine. Nous avons une femme, la quarantaine, arrivée avec 3 plaies profondes dans le thorax. Aucun organe vital n’a été touché mais elle a perdu beaucoup de sang, j’ai dû pratiquer une transfusion en urgence, les plaies sont nettoyées et suturées.
Nous avons aussi un jeune homme, la vingtaine, arrivé ici avec une fracture de la jambe droite et une entorse du genou gauche. La fracture est réduite et stabilisée, mais des clichés radios ne seront pas de trop pour vérifier la réduction
Ensuite, il y a ces deux jeunes gens qui n’ont rien trouvé mieux que de se battre pour faire la photo la plus impressionnante. Ils ont fait une chute du deuxième étage. Je soupçonne des fractures du bassin et des avant-bras pour le blond et des fractures de côtes et une luxation de l’épaule pour le rouquin. La luxation a été réduite. Je vous les confie tous. »

Une fois le relai transmis, je pris le temps de m’isoler et de souffler. Je croisai mon reflet dans le frigo en inox immaculé et ce que je vis me tira un rictus de dépit. Ma coiffure était en bataille, mon maquillage dégoulinait sur mon visage et ma robe n’était plus aussi immaculée qu’à mon arrivée.
Je fis signe à toute la brigade d’Haytham afin qu’ils me rejoignissent à l’écart des secours. Je me fis un chignon rapidement afin de me sentir un tant soit peu présentable.

« Je tenais à vous remercier pour toute l’aide que vous m’avez apporté ce soir. Je n’aurais pas pu soigner et sauver autant de blessés ce soir sans vous. Merci, vraiment merci du fond du cœur. Promis, je vous paye le petit-déjeuner dès qu’on sort d’ici. »

Tamara avait entendu  la voix de son mari appeler son nom alors qu’elle se repliait, de nouveau blessée par un carreau, mais n’eut rien le temps de constater d’autre, puisqu’elle se fit charger par la stryge, ce qui la renversa au point de passer par-dessus la barrière. Le choc fut brutal, mais fort heureusement, elle tomba sur une haie du labyrinthe. C’eut pu être pire, bien pire. Elle avait senti tous ses os craquer. Cette ultime chute avait-elle suffi pour la terrasser définitivement ? Son regard fixait le plafond, l’agente de terrain était incapable de bouger pour le moment, épuisée et en souffrance. Elle songeait alors que la dernière fois qu’elle avait vu Hay, c’était pour lui taper dessus. Pour éviter tout soupçon du B.E.M, certes mais il n’en restait pas moins qu’elle avait vu la colère dans son regard. Il avait compris. Il avait compris qu’elle avait fait tout ce qu’elle lui avait reproché pendant des années. Cacher la vérité, agir seule. Sauf qu’elle n’avait pas le choix, elle voulait à tout prix se venger du B.E.M, pour tout le mal fait à sa famille. Haytham n’aurait jamais accepté qu’elle y retourne. Et il y avait Eileen.

Eileen… mon bébé…

Une larme roula sur la joue de la brunette qui entendit le peintre au loin. Sa voix semblait si lointaine, et elle avait l’impression d’entendre aussi Carwyn. Que se passait-il ? Ses oreilles sifflaient, chaque partie de son corps était désormais douloureuse, trop de chocs, trop de coups, trop de flèches aussi, même si la plupart n’avait fait que l’effleurer, le morceau de carreau toujours dans son épaule avait bougé avec la chute.
Elle sentit soudain les murs du labyrinthe disparaître, la faisant se poser sur le sol. C’était comme si tout revenait à sa juste place. La voix de Martinez se fit plus nette dans son oreille, mais elle ne comprenait pas ce qu’il disait. Soudain, cette voix se mélangea avec tout un tas d’autres, et des bruits de pas. Sa main se crispa sur la crosse de son arme, quand un visage humain arriva au-dessus d’elle avant de le lui retirer son neuf millimètres.

- Marty… Qu’est-ce que tu fous…

Tamara essaya alors de se relever, mais c’était comme si son corps était devenu beaucoup trop lourd et engourdi.

« - Ne bouge pas, c’est fini. Ils vont venir nous ramasser. Je planque ça en attendant, y a des flics. »

- C’est sans doute... le truc le moins... con que t’aies fait ce soir, dit-elle avec un léger rire nerveux qui réveilla les douleurs qu’elle ressentait un peu partout.

A peine quelques minutes plus tard, une urgentiste du B.E.M arriva avec deux brancardiers pour la récupérer. C’était des agents, ils la connaissaient. Ils l’évacuèrent avec l’agent Martinez tandis que Tam leur précisa la position de l’agent Collins. Il fallait qu’ils le ramassent avant que les autorités tombent sur lui. La bonne nouvelle, c’était qu’Haytham et les autres demi-dieux étaient plus ou moins en sécurité maintenant. Ils ne pourraient pas être abattus en présence de tous ces civils et les forces de l’ordre. Et elle savait son mari assez malin pour ne pas se faire embarquer par le B.E.M ce soir. Et les apparences étaient sauves, avec la raclée qu’il lui avait mise en la faisant voler sur plusieurs mètres.
Elle fut chargée dans une fausse ambulance, véhicule du B.E.M pour rentrer au QG avec les autres agents présents, vivants comme morts. Le rapport de cette mission serait épique.

- Et le peintre ? Quelqu’un l’a eu ?

V aincre le lion de Némée. Si un jour on avait fait savoir à Haytham Cassidy qu’il aurait « ce privilège » à n’en pas douter, il ne se serait pas privé d’éclater de rire tant cela paraissait improbable sur le papier. Et pourtant, tel Héraclès avant lui, le demi-dieu venait d’abattre le félin en l’étouffant de toute sa force ; et le voilà à présent éreinté d’un pareil effort. — Merde !  lança-t-il en se rappelant que Tamara était passée par-dessus la rambarde. Son assaillante était encore là, blessée plus qu’elle ne l’était auparavant. — Ça facilitera les choses !  Il s’apprêtait à charger à son tour, mais c’était sans compter sur l’humain du labyrinthe qui venait de faire son apparition. — Ne restez pas là !  lança Hay non sans hostilité tandis que le journaliste s’interposait, priant le fils de Mars de ne faire aucun mal à la stryge. — Cette chose vient de balancer ma femme par-dessus la rambarde  aboya Hay alors que l’humain le supplier à nouveau avant de déclamer ce qu’il avait à faire entendre. De toute évidence, il ne restait plus que deux archers à présent. L’homme en profita dès lors pour aider « la chose » à se redresser tandis qu’Haytham s’approchait de la balustrade. De sa hauteur, il constata que Tamara était tombée sur une haie. Il en fut rassuré. Certes, l’agent de terrain n’en demeurait pas moins blessé, cependant l’atterrissage, bien que douloureux (karma), l’avait exempté de davantage de blessures. Voyant un autre agent la rejoindre, le demi-dieu s’éloigna de la rambarde pour ne pas être visible. Il vit paraître Angel, toujours blessé, mais un peu plus en vitalité malgré tout.

— Blague à part le félin est caput, mais il nous reste encore deux archers ; ce qui est pour ainsi dire largement à notre portée. Tout se bousculait dans la tête de tout à chacun, un tout synonyme de désordre. — Je crois qu’après ça je vais avoir besoin d’une thérapie de couple contrairement à toi petit cachotier.  Ce n’était pas le moment pour entamer ce genre de conversation, mais de toute évidence, Hay semblait prêt à s’embarquer sur ce terrain hostile, aussi éphémère soit-il. — Quoique oublie, je te féliciterai plus tard. Il nous reste deux…  Il n’eut pas le loisir de terminer sa phrase et vit le cadavre du lion disparaître peu à peu, avant d’entendre plusieurs portes être enfoncées sans sommation aucune. — Je crois que la cavalerie est arrivée. Viens, il faut qu’on se mêle à la foule, il y a des agents partout.  Que pouvaient-ils faire de plus, de toute évidence, tout semblait revenir à la normale. — Attends, il faut qu’on mette la main sur Hansen avant le BEM. Fais-moi juste penser à éviter de croiser celle qui me sert de femme. 

Un de moins:

J’étais épuisée. Le regain d’énergie que j’avais eu après avoir repris connaissance s’était épuisé avec ma tentative d’en finir avec nos assaillants. Mes chevilles chauffaient et la furie du B.E.M qui m’avait privée de mon bouclier de fortune avait attisé en moi une haine indéfinissable. Je voulais qu’elle meure, je voulais venger ma mère et ma horde qu’elle avait contribué à décimer. Alors, faisant fi du danger, je l’avais chargée et faite tomber par-dessus la rambarde avant de m’écrouler contre cette dernière. Je pensais que j’allais mourir ici, encore transpercée par des carreaux d’arbalète, mais j’eus le bonheur d’entendre la voix de Darren avant de le voir. Il me défendait face à un demi-dieu en colère qui voulait venger la méchante que je venais de jeter par-dessus bord. Je sentais que c’était un demi-dieu car il y avait du sang sur lui, et j’en sentais l’odeur. Pourquoi voulait-il venger cette femme ? Heureusement, Darren l’avait visiblement dissuadé. J’ouvris les yeux et le vis, plein de fierté, m’annoncer qu’il avait tué un archer. J’esquissai un léger sourire, j’aimais le voir ainsi, mais je souffrais de ma dernière blessure. Mais soudain, ce fut comme si de la magie avait opéré. Tout disparut, toute trace des tableaux qui avait pris vie. La flèche encore plantée dans mon flanc disparut, ne laissant que la blessure. Les cadavres du lion et de la gorgone s’effacèrent, et en bas, le labyrinthe disparut.

- Darren…

J’avais mal et j’avais peur. J’avais l’impression de revivre cette horrible matinée voilà une époque reculée, toute une vie pour ainsi dire, où j’avais tout perdu : ma vie, ma famille, ma liberté et mes ailes. Une larme roula sur ma joue tandis que les images se succédaient dans ma tête. Je me mis à trembler, j’avais froid en plus d’avoir peur. J’attrapai la main de Darren qui m’aidait à me relever. En bas, on entendit les portes s’ouvrir et des Mortels entrer avec des brancards. Ils semblaient prendre en charge les blessés. Au dehors, j’entendais les sirènes, j’en voyais les lumières, cela m’effrayait.

- Darren, je voudrais qu’on s’en aille…

Je n’avais aucune idée de si c’était possible, j’avais l’impression d’entendre des tas de conversations et d’ordres demandant à des gens de se mettre à tel ou tel endroit.

- Est-ce que tu vas bien ?

Je savais qu’il avait été blessé aussi, mais j’avais perdu connaissance et n’avais plus vu ce qui s’était passé. J’avais seulement voulu le protéger et que ce carnage cesse.
Les équipes médicales arrivèrent au premier étage et une personne vint nous parler. Je n’étais plus apte à rien comprendre, j’étais trop fatiguée. Je voulais seulement rester avec Darren et qu’on rentre. Mais la personne semblait dire qu’il fallait aller dans un endroit appelé « hôpital ». Cela ne me plaisait pas, je tentai de feuler avant de regarder Darren, lui saurait quoi faire.

L orsque j’étais enfant, l’on me reprochait bien des choses, à commencer par ma trop grande propension à la bêtise. Mais j’avais aussi un imaginaire fertile qui m’amenait à me créer tout un monde dans lequel je pouvais vivre tout un tas d’aventures. Je me suis souvent visualisé en superhéros prêt à défendre la veuve et l’orphelin contre un quelconque oppresseur. Je m’imaginais sans mal pourvu de quelques pouvoirs me permettant ainsi de lutter avec plus d’aisance contre le crime. Mais jamais, ô grand jamais je ne me serais douté, qu’il y avait une part de vérité dans mes fantasmes : à ceci près que je n’avais aucun pouvoir pour lutter contre l’ennemi. Je n’étais rien de plus qu’un mortel aux prises avec des créatures légendaires. Cela devenait concret et je dois bien reconnaître que je flippais de plus en plus face à tout ce bordel mythologique. Qu’allais-je bien pouvoir faire pour lutter contre ça ?

Malgré mon appréhension et les crises d’angoisses enclines à faire de ma vie un enfer, je ne pouvais me résoudre à me dégonfler. Licinia était en danger et même si je ne pouvais lutter à armes égales avec ces rejetons divins, je me devais au moins d’essayer de faire entendre ma voix avant de combattre de toutes mes forces. Car oui, j’étais prêt à lutter malgré mon impuissance, tout ça pour Licinia. Était-ce seulement raisonnable d’être prêt à toutes les folies pour une seule personne ? Non, indubitablement !

Le demi-dieu tantôt sauveur, tantôt vengeur, consentit à ne pas s’en prendre à ma protégée et nous laissa seuls. Fier de mes précédents exploits, je ne pus m’empêcher d’exposer comment j’étais parvenu (avec beaucoup de chance) à me débarrasser d’un archer. Mais ma légèreté, bien que feinte, ne pouvait suffire à ragaillardir ma belle Italienne qui ne souhaitait qu’une chose à présent, partir.

— Oui, on va s’en aller. Trainer ici ne me semble pas la meilleure des alternatives, malgré l’arrivée de la cavalerie. Tu peux marcher ? N’hésite pas à t’appuyer sur moi si c’est trop difficile.  À l’étage inférieur, l’on s’activait de partout, les secours en première ligne, venaient cueillir les blessés, tandis que les autorités « compétentes » prenaient les témoignages des valides. Dans ma tête, mille et un scénarii prenaient vie ; la plupart m’amenaient à penser qu’il était plus judicieux de se faire oublier, car il était fort probable que des agents infiltrés se cachent de-ci de-là. De son côté, Licinia ne pestait pas et s’inquiétait de mon sort, me rappelant ainsi mon hypothétique blessure à l’épaule.

— Je vais bien ne t’en fais pas. Ça me fera une cicatrice de plus.  Je redoublais de légèreté pour la rassurer (et moi aussi par la même occasion) ; et alors que nous nous dirigions vers les escaliers, une femme vint nous solliciter pour nous inciter à aller à l’hôpital. — Ça va aller  lançais-je aussi à ma comparse.  — Ne t’en fais pas, on va nous soigner là-bas, tu n’as rien à craindre.  Non sans mal, nous pûmes rejoindre le rez-de-chaussée, en nous faufilant à travers la foule. — Ça va aller ? Tu te sens de partir d’ici et de me suivre à l’hôpital ? Crois-moi, ils ne te feront aucun mal, je serais là, je ne vais pas te lâcher. Mais si éventuellement, tu peux te régénérer rapidement, on peut oublier de passer par la case-hôpital. Qu’est-ce que tu préfères ?  J’étais (légèrement) blessé, mais ma seule préoccupation demeurait Licinia, le reste m’importait peu.

Je reposais le bras sur la surface plane et froide du plan de travail en inox où l'on m'avait installée. La transfusion, bien que précaire et écourtée, avait eu l'effet escompté et m'avait visiblement empêché de passer l'arme à gauche ce soir. Je me sentais encore faible, mais c'était toujours mieux que de ne plus rien sentir du tout et en cela, il semblerait que j'avais eu au moins une infime dose de chance dans toute cette épreuve en trouvant un donner compatible. La femme médecin termina la manœuvre et le commis put repartir, s'étant acquitté d'une bonne action dont je devrais lui être redevable. Une situation que je n'affectionnais guère, mais pour laquelle je n'avais pas le choix que d'assumer et cela était aussi valable pour la jeune femme dévouée.

Un certain calme semblait être revenu dans le musée, ou du moins, les passages se faisaient moins fréquents et le volume sonore avait considérablement baissé. Les cris avaient cessés, les échanges de coups aussi. Mais malgré tout, je ne voyais aucun visage connu et déjà, je me faisais à l'idée de ne plus en voir. L'épisode se répétait une nouvelle fois, la douleur et le deuil m'accompagnant durant les mois à venir alors que je devrais probablement faire face à la perte de mes collègues et de notre Directeur. 2015 n'était finalement pas si loin que j'avais pu le penser...
Pourtant rares étaient ceux que j'appréciais au BEM. Il fallait avouer que le plus gros du lot avait même plutôt tendance à m'exaspérer ou à me contrarier. Voire les deux, dans la plupart des cas. Mais pour autant, leur disparition se révèlerait être une privation considérable dans nos effectifs déjà clairsemés. En toute franchise, je ne pense pas que le BEM puisse un jour se relever d'un tel désastre.

Soudain, les portes s'ouvrirent et les cuisines furent envahies par des hommes et des femmes en blouses blanches. Les secours, enfin. La femme alla directement leur parler et l'effervescence gagna rapidement les lieux, apportant attention et réconfort aux autres blessés. Des hommes s'approchèrent et je reconnus des agents de chez nous, ceux-là même qui m'avaient déjà pris en charge après le raid de 2015. Je laissais échapper un gémissement de douleur et serrais les dents alors que l'on me déplaçait sur une civière plus décente. En quête de chaleur, on me recouvrit d'une couverture qui s'avéra être bienvenue et de nouvelles perfusions me furent administrées, en bonne et due forme cette fois. Me laissant aller à la fatigue, je fermais les yeux de nouveau, sentant que l'on me transportait vers une ambulance, assurément contrefaite pour ne pas être repérée. La discrétion était de rigueur, et j'entendais d'ailleurs de nombreux crépitements de flashs lorsque nous fûmes sortis du bâtiment, des éclats de voix que je préférais ignorer, n'étant de toutes les manières pas en état de répondre à quoique ce soit. Une foule de personnes semblait s'être donnée rendez-vous devant le musée : professionnels de l'information, autorités locales ou simples curieux, tous étaient à l'affût de la moindre bribe pouvant contenter leur curiosité. Docile, je me laissais emmener, économisant d'ores et déjà mes forces -déjà bien entamées présentement- à mon futur rétablissement qui s'annonçait d'avance long et éprouvant.

Rez-de-chaussé
Les ordres étaient clairs, nets et précis. Nous devions sortir de cet endroit nos agents blessés et j’allais clairement faire une réunion d’urgence lorsque les choses iraient mieux. Dans l’immédiat, l’extraction des blessés était la seule option. Je restais calmement où j’étais en prenant une grande inspiration. Je luttais contre la perte de conscience et la douleur au maximum de mes capacités en oubliant le reste. Les yeux fermés avant de lancer des regards meurtriers à mes agents qui s’approchaient de moi pour me sortir de ce merdier. Mes pensées allaient à Elisabeth. Je veillerai sur elle durant son rétablissement. Le mien serait secondaire sans même qu’elle s’en rende compte. Des sutures, des pilules et je serais prêt à continuer d’aller au devant de tout ça.

On m’aidait à m’installer pour un putain de brancard. J’allais avoir besoin de savoir si nous avions eu Hansen. Mon petit doigt me disait que l’un de nos agents avant sans aucun doute réussi à mettre la main sur ce taré aux tableaux. Je me fichais bien des journalistes et du reste. Il y avait beaucoup de blessés et le BEM devrait faire preuve de doigté dans les réponses qui seront fournies. Nous avions les bons éléments à ce niveau. J’étais somnolent à la suite de l’administration d’un narcotique pour la douleur et je grognais. Oh qu’on allait m’entendre lorsque je serais en meilleure forme. Il ne fallait jamais sous-estimer James Sheppard. Nous ne vivions pas dans un Disney après tout. La vie était bien plus rude que ça.

Me retenir de dire une connerie ? Même pas en rêve. C’était hors de question que je reste là sans rien faire il était hors de question que je laisse ma famille dans la merde sans me battre jusqu’au bout. C’était un peu ça être un fils de mars après tout. J’avais une fuite de plus en me disant que j’aurais un bec et bobo de plus de la part de ma belle doctoresse. Il fallait bien trouver des raisons pour me faire pardonner mon absence. La douleur était relativement intense. Une petite blague sur le chat XXL. Je rigolais jaune à la mention de la thérapie de couple pour lui et de ma relation avec Melissa.

- Attends, j’ai une fuite de plus. Je suis bon pour me faire botter le cul.

La suite se passa rapidement. Les archers qui tiraient disparaissaient tout comme le lion mort. Je regardais autour de nous avant de regarder mon frère. Pour une fois, j’étais d’accord avec lui. Nous devions nous mêler à la foule. Même si ce n’était pas si facile dans mon cas avec une chemise en moins et quelques fuites. Avais-je fait sauter des points de suture ? Même pas surpris en fait.

- File et tente de trouver Hansen… Je vais regagner la cuisine pour ma part et sortir de ce merdier. On se parle plus tard. Sois prudent.

Je me devais de me séparer de mon frère. Je savais qu’il serait en mesure de faire le tour seul. Moi, je devais ployer même si je n’en avais pas du tout envie. Je marchais difficilement avant d’entrer à nouveau dans la cuisine. Melissa parlait au groupe et je m’appuyais sur un comptoir avec un petit sourire enjôleur au coin des lèvres. Je reluquais aussi ses fesses au passage. Il s’agissait de mes fesses après tout. Non mais ! J’allais l’amener loin pour souffler et profiter un minimum de la vie.

- Hey belle brune … Ça fuite encore et je suis pas au top de ma forme.

Je rigolais avant de sentir mes genoux toucher le sol. J’allais probablement dormir de longues heures avant de me prendre un sermon sans la moindre fin de sa part. On ne pouvait pas être parfait non ?

Rez-de-chaussée

Le calme semblait perdurer. Les cuisines, transformées durant quelques heures en service d'urgences, se vidaient presque aussi rapidement qu'elles s'étaient remplies. Tous les blessés graves avaient été pris en charge par les services compétents.
Les invités qui étaient en état de choc se tenaient serrés les uns contre les autres pour se rassurer. Toute une équipe de psychologues fit alors son arrivée afin de s'occuper des têtes et des esprits fortement tourmentés.

Après les avoir chaleureusement remercié, je libérai la brigade d'Haytham, ils avaient le droit eux-aussi de prendre du repos. Ils l'avaient plus que mérité. Certains, par acquis de conscience ou par besoin d'effacer l'horreur de la soirée, se mirent à ranger et nettoyer les lieux.
De mon côté, l'angoisse que j'avais réussi à mettre temporairement de côté, m'envahit à nouveau. A part la stryge et brièvement Angel, je n'avais vu aucuns autres demi-dieux ou créatures dans la même pièce que moi depuis longtemps...

Avant de craquer nerveusement et physiquement, je fis moi-aussi un peu de nettoyage et de rangement dans cette pièce où j'avais dû travailler bien malgré moi ce soir. Dire que je voulais juste passer une soirée tranquille au musée et ne pas penser au travail ! Raté ! Le seul point positif pour le moment, j'avais revu quelques instants Angel...
Juste au moment où mon esprit se fixait sur ce fils de Mars, le voilà qui fit son entrée dans les cuisines. Il n'avait pas l'air bien en forme. Il était même sur le point de défaillir complètement. Mais cela ne l'empêcha pas de sortir une de ses blagues pas toujours drôles.

"Angel !"

Je me précipitai vers lui. Un des ambulanciers revenant voir si tous les blessés étaient bien évacués voulut m'écarter et diriger les soins. Je l'envoyai paître avec toute la force que je pouvais mettre dans mes propos.
Si quelqu'un devait le soigner, il ne pouvait s'agir que de moi. En tout cas ce soir. Je venais de le retrouver, on avait beaucoup de choses à se dire, je ne comptai pas l'abandonner, encore moins dans cet état-là.

Sans que je leur disse quoi que ce fut, deux commis arrivèrent avec le nécessaire pour panser les blessures de l'homme qui faisait battre mon coeur. Mes mains se mirent à trembler au moment de faire et de refaire certaines sutures.
Un des employés d'Haytham me prit l'aiguille et le fil et attaqua le travail que je n'arrivais pas à faire. Je me contentai de poser la tête de mon Marsien sur mes genoux et de caresser doucement son visage afin de calmer ses douleurs et un peu les miennes par la même occasion.

Il allait avoir besoin de repos et moi aussi. Une fois toutes ses plaies pansées, aidée par un de mes assistants du soir, nous emmenâmes Angel en direction de la sortie du musée. Je fis signe à un taxi et installai non sans mal mon patient VIP sur la banquette arrière.
Après avoir donné mon adresse, nous partîmes enfin de ce lieu et de cette soirée qui avait viré à la catastrophe sans aucun signe précurseur. J'embrassai une nouvelle fois Angel sur les lèvres, des larmes se mirent à rouler doucement le long de mes joues.

Il m'avait manqué... Bien plus que je ne l'aurais pensé... Et j'étais soulagée de le retrouver en vie, blessé mais bien vivant.