Ohé, ohé, capitaine abandonné. P.V. Gregory O'Leary

Cela faisait six ans que Gregory était divorcé, six années pendant lesquelles il ne voyait son ex-femme que rarement. Pour se dire quoi, après tout ? Il avait conscience que la fin de leur mariage lui était largement imputable, et il avait préféré prendre ses distances. Ce divorce, il n'en avait pas voulu mais quand les papiers lui avaient été présentés, il avait signé presque aussitôt. Pourquoi ? Parce qu'il avait réagi de façon impulsive, sous le coup de la colère. Cela faisait des mois qu'il se montrait plus taciturne qu'à l'ordinaire, des mois qu'il sur-réagissait à la moindre contrariété, des mois qu'il s'en prenait à elle alors qu'elle ne le méritait pas, après tout, ils vivaient la même chose... Mais là où Sarah parvenait à peu près à donner le change et à gérer les choses, lui, il en était incapable. Il s'était fermé, assombri. Le sarcasme dont il faisait déjà preuve avant était devenu beaucoup plus cassant. En ce jour du premier février 2015, il avait sombré et il avait été incapable de sortir la tête de l'eau. Il avait fallu pas mal de temps pour que sa colère s'apaise suffisamment pour qu'il se mette à réfléchir correctement et qu'il cesse de partir en vrille et de se mettre en danger en allant s'attaquer à n'importe qui pour avoir des infos. Il ne voulait qu'une chose : un nom. Le nom de l'enfoiré qui avait tué son fils. Le soir de l'attaque, le camp était rempli de gosses, mais ça, les assaillants n'en avaient rien eu à faire. Ils étaient différents, alors ils devaient être éradiqués...Ça s'arrêtait là.

Gregory avait une mère humaine, et c'était sans doute pour cette raison qu'il ne mettait pas tous ses œufs dans le même panier. Si ça n'avait pas été le cas, pour sûr qu'il aurait sans doute fait comme les membres du BEM : aucune distinction. C'eut été plus simple, après tout, il aurait simplement pu foncer dans le tas plutôt que de tenter de se fondre dans la masse, et de jouer le jeu de ces gens qui l’écœuraient. Il était loin de s'imaginer qu'en réalité, il était loin d'être le seul à avoir intégré ce groupuscule avec une idée de vengeance en tête. Pour l'instant, il en était au stade où les membres du BEM commençaient à lui faire confiance, lui donnant des missions plus diverses. S'ils savaient ce qu'il était, pour sûr qu'il serait sur leur table d'opération depuis longtemps, à subir mille et un tests. Il avait eu plus d'une fois l'occasion de voir ce qu'ils faisaient dans leurs laboratoires, et il fallait avoir le cœur bien accroché... Gregory faisait pas mal de cauchemars, entre les attaques qui avaient eu lieu, la vision du corps sans vie de son fils, toutes ces créatures qui étaient séquestrées et torturées... Et lui, il participait à tout ça même s'il tentait de limiter la casse et parvenait, de temps à autre, à libérer l'un ou l'autre de ces prisonniers.

Et pour décompresser, et chasser ces pensées intrusives qui lui bouffaient la vie, il avait trouvé une méthode. Allongé sur son lit, un seau rempli d'eau auprès de lui, il se concentrait pour canaliser ses pensées sur une bulle d'eau qu'il générait grâce à ses dons. Tant que ses pensées étaient agitées, la "bulle" était difforme et virevoltait dans la pièce, mais lorsqu'il parvenait à suffisamment se fixer dessus, elle prenait enfin une jolie forme bien ronde, régulière, et elle flottait simplement au-dessus de lui. Alors qu'il parvenait presque à la perfection, il entendit toquer à la porte, ce qui lui fit perdre sa concentration, la bulle éclatant au-dessus de sa tête. Pour sûr que même le propriétaire du bateau voisin qui se trouvait à plus de cinquante mètres avait dû l'entendre grogner ! Il attrapa le premier tissu qu'il trouva pour s'éponger rapidement et alla ouvrir la porte, un tantinet agacé. En voyant qui se trouvait sur le pas de sa porte, il releva un sourcil, assez étonné de voir son ex-femme devant sa porte.

Tiens donc, regardez qui voilà. Je te manquais ? Lança t-il avec un petit sourire teinté d'arrogance, se demandant bien ce qu'elle faisait là.

Son petit sourire s'était élargi en entendant la réplique de la blonde. Etait-ce un semi aveu qu'elle venait de faire là ? C'était bien possible, en tous cas, il avait envie de le croire.

Inquiète ? Vraiment ? Que croyais-tu qu'il ait pu m'arriver ? Demanda t-il tout en frictionnant ses cheveux dont l'eau dégoulinait sur sa chemise alors qu'elle poursuivait, lui annonçant qu'elle lui avait apporté à manger et que cela n'avait rien à voir avec des repas de régimes, car pour lui, "santé", signifiait fade, sans sauce, sans viande, sans plaisir, et comme il était du genre borné, il serait bien difficile de lui faire dire le contraire, même avec des preuves à l'appui.

Pas de graines et de légumes fades ? Je devrais peut-être garder le silence plus souvent si j'ai droit à tant d'attention. La véritable question n'était pas réellement de savoir ce qu'il y avait dans son sac, mais plutôt combien de temps elle tiendrait sans lui taper dessus au vu de son attitude de crétin ! Il la cherchait encore, comme il avait pu le faire tant de fois à l'époque de leur rencontre, et pendant tant d'années par la suite. On aurait dit que c'était une chose qu'il ne pouvait s'empêcher de faire malgré le fait que la situation avait changé, c'était instinctif. Apparemment, il lui était difficile de ne pas en faire autant car elle lui fit remarquer son état et le fait qu'il semblait avoir pris une douche entièrement habillé. Mais plutôt que de lui expliquer l'aspect sérieux de cette situation, avec le besoin qu'il avait de se recentrer comme il tentait de le faire avant qu'elle ne lui fasse perdre toute concentration, il préféra répliquer dans une phrase lourde de sous-entendus.

Je ne doute pas que tu aurais préféré me voir à la sortie de la douche directement...

Il se recula alors, faisant une simili révérence pour l'inviter à entrer. Il récupéra au passage le sac qu'elle avait apporté, jetant un coup d’œil rapide au contenu avant de le poser sur la petite table près de lui.

Merci...

Une fois sorti de ses petites piques, la conversation devenait tout de suite plus compliquée. Gregory ne savait plus vraiment comment se comporter ni quoi dire, après tout, ils avaient leur vie chacun de leur côté à présent,  il ne pouvait pas vraiment lui dire ce qu'il faisait de ses journées, et il n'était pas sûr de vouloir savoir ce qu'il en était pour elle. Cela faisait plusieurs années qu'ils n'étaient plus ensemble, et pourtant, encore maintenant, il appréhendait le jour où elle lui annoncerait qu'elle avait rencontré quelqu'un. C'était égoïste, et jamais il ne le lui avouerait, mais cette pensée ne le quittait pas. Et quand il ne savait pas comment se comporter, il faisait vite des blocages, balançant des banalités affligeantes :

Alors, quelles nouvelles ? Ça va le boulot ?