Une pizza, une bière et des infos chef ! Haytham & Gregory

Le Vésuvio...Gregory s'y rendait de temps à autre mais ce n'était pas parce qu'il était spécialement amateur de pizzas. Non, ce restaurant avait un autre attrait pour lui : c'était un vrai point de rendez-vous pour les créatures de son monde. Le lieu foisonnait de demi-dieux qui semblaient se rassembler là pour se retrouver avec des gens face auxquels ils n'avaient pas besoin de se cacher. Ils pouvaient être totalement eux-mêmes et c'était reposant. Mais ce n'était pas la raison pour laquelle Gregory se rendait dans ce restaurant. Depuis la mort de son fils, il n'allait plus très souvent à l'Olympum, l'endroit lui rappelant le massacre qui avait eu lieu. Il avait démissionné de son poste de magister, il s'était un peu coupé du monde, vivant sur son voilier bercé par les vagues et il n'en sortait quasiment que pour bosser. Le BEM... Ça aurait pu vouloir dire "Bureau d'Etude Mythologique" mais ils ne se contentaient pas de les étudier, loin de là. Ils voulaient les éradiquer. Et pour cela, ils faisaient des expériences barbares sur eux, des expériences que Gregory avait pu voir de ses propres yeux à plusieurs reprises, amenant même leurs cobayes sur la table. Au fil des mois, il s'était endurci, ça ne lui plaisait toujours pas ce qu'il s'y passait mais il parvenait à prendre un peu plus sur lui. Le pire, c'était quand des mômes se faisaient attraper, il tentait de les aider à trouver un moyen de s'échapper mais ce n'était pas toujours possible. Il se retrouvait donc dans une situation complexe car même s'il se montrait froid et distant, il était loin d'être insensible à ce qu'il s'y passait.

Avec ce double jeu, Gregory devait se montrer prudent. Personne ne savait qu'il s'était infiltré dans cette organisation en dehors de son meilleur ami -et sans doute le seul mec au monde à réussir à le supporter !- et du côté du BEM, ils étaient sans doute loin de s'imaginer qu'ils avaient dans leurs rangs une des créatures qu'ils espéraient détruire. Si c'était le cas, Gregory savait bien ce qu'il lui arriverait, il le voyait chaque jour depuis des mois... Alors, même si au Vésuvio, la majorité de la clientèle étaient des créatures mythologiques et avaient tout intérêt à voir le BEM détruit, il devait faire attention, on ne savait jamais quelles oreilles indiscrètes pouvaient trainer. Il était allé directement au comptoir, commandant une bière en s'assurant d'être dans un coin où son premier voisin se trouvait à quelques mètres de lui. Il était encore tôt pour que les gens viennent manger, il pouvait donc espérer être à peu près tranquille. Lorsque Haytham s'avança vers lui, Gregory entra dans le vif du sujet directement. Il pouvait être assez cash et impatient, mais l'homme qui lui faisait face devait s'être habitué au fait qu'il ne s'encombre pas de manières.

Tu as quelque chose pour moi ? Demanda t-il avant de prendre une gorgée de sa bière. Nul besoin d'entrer dans les détails, il savait bien de quoi il voulait parler...

Haytham chérissait profondément cet endroit, source d’une immense fierté. Autrefois, accompagné d’Angel, son camarade le plus loyal, ils défiaient l’autorité du sage Chiron pour se frayer un chemin jusqu’à New York. Là, ils se délectaient de la pizza la plus exquise chez Gino, un établissement baigné d’un charme rétro qui évoquait chez notre valeureux fils de Mars une douce nostalgie, immortalisée dans quelques Polaroids précieusement conservés.

Le temps avait modifié son nom ; « Chez Gino » était devenu « Le Vésuvio », un choix neutre aux yeux du commun des mortels, y voyant un hommage à l’Italie et son volcan emblématique. Cette transformation s’avérait cruciale pour dissuader l’attention indésirable.

La rénovation s’était avérée longue et onéreuse. Fort heureusement, le père de Tamara avait consenti à investir, ouvrant la voie à une flexibilité accrue dans les travaux et l’acquisition d’équipements. Un an plus tard, si « Chez Gino » n’existait plus, « Le Vésuvio » conservait son ambiance accueillante, proposant un havre de paix. Au-delà de nourrir les corps, il offrait aux âmes non mortelles un sanctuaire contre les assauts de créatures en quête de sang divin ou des agents du BEM, eux-mêmes assoiffés d’une sanglante quête.

Cette pensée glaciale traversa Haytham. Malgré les efforts de Maisie et Tamara pour prouver leur loyauté à cette sombre entité, Haytham ne pouvait s’empêcher d’être envahi par une inquiétude tenace, malgré ses tentatives de l’évincer de ses pensées. Le restaurant occupait ses journées, tout comme les séances d’entraînement qu’il s’imposait. Bien que sa vie semblait bien compartimentée, un moment d’égarement suffisait parfois à raviver ses appréhensions, sapant ses efforts pour les apaiser.

Poussant un soupir chargé de cette lourdeur qu’il cherchait tant à esquiver avant le début du service, Haytham jeta un regard vers l’horloge murale. Deux heures le séparaient encore du coup d’envoi. Il s’affaira alors à nettoyer de nouveau la cuisine, à évacuer les poubelles déjà pleines, et se dirigea vers l’arrière du restaurant pour y déposer les sacs lourds qu’il portait d’une main.

Peu à peu, le personnel arrivait, dissipant la tranquillité matinale. En cuisine, les commis, vêtus de leurs blouses blanches immaculées, s’affairaient à préparer les légumes au rythme d’une radio diffusant des tubes vintages. Haytham prit le temps de saluer chacun, fidèle à son rituel matinal, avant de solliciter de l’aide pour inventorier les stocks en réserve, déterminant ainsi ce qui pourrait figurer ou non au menu du jour.

Il ne restait désormais plus qu’une heure avant le début du service de midi. L’agitation régnait dans les cuisines où chacun s’affairait avec empressement. Tenant une ardoise, une des jeunes serveuses notait scrupuleusement les instructions d’Haytham.

« — Pour le menu du jour, nous proposerons deux entrées : des bruschettas à l’italienne et une salade caprese. » Il marqua une pause, permettant à la serveuse de suivre. Puis, avec cette bonne humeur qui le caractérisait et le rendait apprécié en tant que patron, il continua :

« — Pour les plats, nous aurons de la lasagne Bolognese ou un risotto ai Funghi Porcini. Risotto aux cèpes, parfumé au vin blanc, agrémenté de parmesan râpé et d’une touche de beurre. Si tu veux, simplifie par “Risotto aux cèpes” entre parenthèses, ça suffira. Quant aux desserts, les clients auront le choix entre un tiramisu classique ou une panna cotta aux fruits rouges. » Après s’être assuré que rien n’avait été oublié et avoir remercié tout le monde, il s’accorda quelques instants de répit avant le rush et se dirigea vers le bar pour se servir un verre d’eau citronnée. À peine eut-il terminé les 250 millilitres de son verre que l’arrivée d’un visage familier capta son attention. Le visiteur, bien que régulier, n’en restait pas moins un sujet de préoccupation. Il s’installa et commanda une bière, sans surprise.

Haytham serra les dents. Il commençait à bien connaître Gregory O’Leary. Et même s’il appréciait de le voir consommer à chacune de ses visites, il savait que Gregory, au-delà de son désir de se désaltérer, cherchait encore des réponses concernant l’attaque de 2015. Une attaque qu’Haytham avait évitée, mais dont les souvenirs ravivaient d’anciennes douleurs. Déterminé malgré les implications, il s’approcha de Gregory qui, sirotant sa bière, tenta d’obtenir des nouvelles avant même d’être salué.

« — Tu es bien matinal ! » lança Haytham, sans hostilité ni reproche, cherchant simplement à engager la conversation. « — Comment ça va ? » Il posa la question, même s’il pressentait déjà la réponse.