Gregory O'Leary - Comme un poisson -carnivore- dans l'eau

Mon enfance, mon adolescence, qu'est ce qu'on s'en fout ? Je suis fils unique, je n'ai pas connu mon père, alors autant vous dire que ma mère m'a choyé. Pour le reste...J'étais un peu casse-cou, elle n'a cessé de s'inquiéter pour moi car je courrais partout, et surtout, dès que je le pouvais, je filais au port de Kinvara. Je suis né et j'ai grandi là-bas, en Irlande, une ile...Il valait mieux apprécier la mer quand on vivait dans cet endroit mais moi, j'avais un attrait particulier pour l'immensité qui s'étalait sous mes yeux. Je rêvais de la parcourir, de faire le tour du monde. J'avais un petit côté aventurier, et très jeune j'ai demandé à étudier l'art du matelotage et la navigation. J'ai eu un professeur passionnant et passionné qui m'a enseigné autant ces deux compétences que l'apprentissage des constellations et comment se guider grâce à elles.

Ma petite vie tranquille a changé le jour où on m'a apporté une invitation en grandes pompes - un type m'a amené un courrier quoi, c'était même pas envoyé par un hibou - pour que j'aille à New-York, rejoindre des gens qui étaient comme moi, des êtres magiques. J'ai alors questionné ma mère. Elle m'avait toujours dit que j'étais un miracle, que mon père était un être exceptionnel, et quand j'étais môme, j'y ai cru, j'étais fier. Sauf qu'en grandissant, sérieusement, qui pourrait croire que son géniteur est un dieu ? Hein ? Bah non, personne ! Et surtout pas moi. Cumulez cette info avec la crise d'adolescence et je vous promets que ça devient un sacré bordel. Quand je reçois ce courrier, que ma mère m'explique, je n'y crois pas. L'evocatore est obligé d'intervenir pour confirmer ses dires tant je reste buté, il faut dire que je suis une sacrée tête de mule quand je m'y mets. A force d'arguments, de questionnements, et de démonstrations, je finis par avoir un doute même s'il est difficile de me faire rentrer l'idée en tête.


J'ai donc atterri à New-York, enfin quand je dis atterri... J'ai fait suer ma mère pour que l'on fasse la traversée en bateau même si c'était dix fois plus long. Elle avait loué un petit appartement, et on s'était installés près de l'océan. Elle pensait véritablement que ça ne durerait qu'un temps, alors, elle avait gardé sa maison en Irlande en pensant y retourner quelques mois plus tard. Sauf que l'apprentissage de son fils dura plus longtemps qu'elle ne l'avait imaginé. Ils ont donc fini, par la force des choses, par s'installer définitivement à New-York. Le gamin que j'étais excellait quand il s'agissait de combattre ou d'user de ses dons, mais quand les enseignements étaient un peu plus intellectuels, je n'étais pas fort attentif. Les grands discours, rester assis sur une chaise pendant des heures, ce n'est pas pour moi. J'ai du mal à écouter blablater, surtout quand le sujet ne me passionne pas. Je n'ai donc jamais ressenti le besoin ni même eu l'ambition de faire des études avec le commun des mortels, je parfaisais simplement mon apprentissage en navigation en parallèle de ce que j'étudiais au camp.

Ma première petite amie -une vraie, une relation sérieuse, pas le petit bisou enfantin - je l'ai rencontrée quand j'ai eu seize ans. Une jolie blonde aux yeux couleurs de l'océan, en fallait-il réellement plus pour me harponner ? Elle était au camp elle aussi, une demie-déesse tout comme moi. Les choses se sont très vite enchainées et j'avais à peine dix-huit quand elle m'a annoncée être enceinte. La catastrophe... Franchement, j'étais pas prêt. Je sortais quasiment tous les soirs, je faisais tout un tas de conneries de jeunes de mon age, et d'un coup on me balançait que j'allais avoir la responsabilité d'un autre être humain sur les bras ! Autant dire qu'au début, je n'ai pas très bien accueilli la nouvelle... Ça a amené son lot de tensions et de disputes. J'étais jeune, j'avais envie de profiter de la vie, pas de m'enfermer dans une vie de famille, pas déjà...Et pourtant, lorsque mon fils est né, les choses ont changé. J'ai changé. Il y a eu comme un électrochoc, une prise de conscience. Quand je l'ai pris dans mes bras pour la première fois, je crois que j'ai enfin réalisé, en fait. Mon fils s’appellerait Killian, comme son arrière grand-père. Qui aurait cru que le gamin en quête d'aventure se rangerait et deviendrait père de famille ? Moi, en tous cas, je ne l'aurais jamais imaginé. La vie nous joue des tours parfois. Quelques temps plus tard, on s'est passé la bague au doigt, et j'aurais du avoir une vie simple et paisible. J'avais décroché quelques petits boulots avant de prendre un poste de magister au camp. C'était plutôt cool d'apprendre à tous ces mômes à se servir de leurs dons et à l'époque, les gamins me trouvaient même fun. Comme quoi, tout peut très vite changer !

Il ne s'est rien passé de véritablement notable dans ma vie, à moins que vous n'ayez envie de m'entendre vous raconter la fois où je suis passé par dessus bord ou ce jour où un jeune centaure s'était emballé en dévalant une colline et qu'il a bien failli me piétiner ! Aurais-je également oublié de mentionner que ma chère et tendre épouse était une catastrophe en cuisine et qu'elle avait tenté de m'empoisonner ? Oui ? A présent, vous savez. Je n'avais vraiment pas à me plaindre de ma vie, tout semblait vouloir se dérouler sans encombre, et vint enfin le jour où mon fils fit son entrée dans le camp. Comme moi à l'époque, il venait tout juste d'avoir douze ans et commençait à développer ses capacités. Malheureusement, quelques mois plus tard, un évènement tragique arriva.

Le camp fut attaqué en ce jour du 1er février 2015. Ce soir là, il n'y avait quasiment que les élèves sur place quand le BEM fit un véritable massacre. Le temps que l'on soit alertés et que l'on arrive, il n'y avait plus rien à sauver... J'ai eu l'espoir, jusqu'au bout, de retrouver mon fils en vie en me disant qu'il était suffisamment malin pour avoir réussi à se trouver une cachette en attendant que l'on puisse intervenir... Mais lorsque l'on m'appela pour m'annoncer qu'il avait été retrouvé sans vie, je me suis figé. Certains auraient hurlé, d'autres auraient pleuré toutes les larmes de leurs corps, cognant sur des objets, évacuant leur colère. Mais moi, je me suis figé. J'ai vu mon fils étendu dans une mare de sang et je n'ai pas réagi. C'est d'ailleurs aussi cela que ma femme me reprochait. Ma non-réaction, comme si ça ne me faisait rien. Je me suis fermé et je me suis mis à réfléchir. Ça a duré des mois, des mois pendant lesquels elle me disait avoir l'impression de vivre avec un homme de glace alors que je travaillais à ma vengeance. Comment faire pour les détruire ? Et enfin, la solution me vint : je devais les infiltrer pour mieux les connaitre. Savoir qui est son ennemi, le nombre de personnes qui y travaille, qui fait quoi. C'était indispensable si je voulais mener ma quête à bien. Ma femme en eut assez de mes silences, ou de mes répliques hasardeuses, emplies de dédain et de sarcasme. Pourtant, ce n'était pas du tout après elle que j'en avais, loin de là. Elle était une victime de la situation, et j'en rajoutais une couche. Elle a fini par en avoir assez de mon foutu caractère et non seulement j'ai perdu mon fils, mais aussi mon épouse deux ans plus tard...On peut dire qu'elle a eu de la patience.

Cela fait donc environ un an que j'ai réussi à intégrer le BEM en tant qu'agent de terrain. Ce poste me permet de mettre mon nez un peu partout et surtout de savoir quand et où ils vont attaquer, ainsi, je peux prévenir les cibles potentielles afin qu'elles prennent la fuite avant l'arrivée des agents ou qu'elles se préparent à contre-attaquer. C'est ça ma vie à présent, je suis seul, j'ai laissé notre maison à mon ex-femme et suis allé m'installer sur mon navire, et je bosse pour l'organisation qui a tué mon fils ainsi que tout un tas d'autres gamins afin de pouvoir les détruire de l'intérieur...En espérant qu'ils ne réalisent pas qui je suis avant que je n'y parvienne ...