Confidences Inavouées

La voix de mon géniteur s’élevait encore de l’appareil, une mélodie lointaine qui ne m’avait plus été destinée depuis une éternité, un intervalle mesuré non en jours, mais en années dérobées. Je luttais pour demeurer serein, pourtant chaque fibre de mon être semblait vaciller sur son axe, chavirée par le son de celui qui m’avait donné la vie.

Mon incursion dans les replis poussiéreux de mon passé avait remué des cendres que je croyais éteintes, un émoi rivalisant avec les mésaventures récentes de la fête foraine. Je me drapais dans le silence, probablement par fierté, tout en sachant que le sommeil me fuyait de nouveau, que les fantômes de mes cauchemars reprenaient leurs danses macabres. Je me voyais nager, luttant d’abord contre la torpeur, puis cédant sous le poids de l’accablement, m’abandonnant à la descente, une et mille fois, vers les abysses insaisissables d’un océan sans fin. C’était un non-sens, un rébus indéchiffrable qui, peut-être, aurait trouvé sa clef si j’avais eu la présence d’esprit, dans ma prime jeunesse, de dévoiler ces ombres à un confident éclairé.

« Foutaises ! Allez Darren, reprends-toi ! » Ainsi, je me tenais là, figé devant la porte vernie du psychologue. En secret, j’avais fixé ce rendez-vous, un sas dans l’armure de mon isolement, sans en souffler mot à âme qui vive, pas même à Licina, dont l’incompréhension face à nos dépenses mortelles me paraissait insurmontable. Mais je le devais, à mon esprit plus qu’à tout autre. Oui, il me fallait convoquer l’égoïsme, embrasser la quête de ma propre paix intérieure.

« — C’est parti ! » murmurai-je avec une résolution tremblante, avant de céder enfin à l’impulsion qui me portait à toquer, avec une hésitation presque sacrée, à la porte du cabinet de psychologie.

La porte s’ouvrit sur une pièce baignée d’une lumière douce, les rayons du soleil se faufilant à travers les stores pour danser sur les murs d’un blanc apaisant. Le bureau du Dr. Emilia Hart était un havre de paix, conçu pour mettre à l’aise, avec des couleurs chaudes et des touches personnelles dispersées ici et là, révélant une présence humaine derrière la professionnelle.

Dr. Hart se tenait debout, une silhouette rassurante, avec un sourire qui semblait comprendre bien plus que ce que les mots pouvaient exprimer. « Darren White, je présume ? Entrez, je vous en prie. », dit-elle d’une voix qui portait en elle une chaleur réconfortante. Sa présence émanait une aura de tranquillité, contrastant avec le tumulte intérieur de Darren.

Elle l’invita à prendre place dans un fauteuil confortable, s’asseyant en face de lui, mais à une distance qui respectait son espace personnel. « Avant de commencer, je tiens à vous féliciter pour avoir franchi cette porte. Je sais que cela n’a pas dû être facile, mais c’est un premier pas important vers la compréhension et la guérison. Parlez-moi de ce qui vous amène, Darren. Prenez tout le temps dont vous avez besoin. » Sa voix était douce, mais ferme, encourageant Darren à s’ouvrir sans pression. Elle disposait d’un bloc-notes, prête à noter des points clés, mais son attention restait focalisée sur lui, démontrant une écoute active et empathique. Le Dr. Hart était là, non pas pour juger, mais pour guider Darren à travers les méandres de son esprit, l’aidant à dénouer les fils emmêlés de ses pensées et émotions, en quête de clarté et de soulagement.

Je pris une profonde inspiration, mes mains légèrement tremblantes posées sur mes genoux. Le chemin parcouru pour me retrouver ici, face au Dr Hart, ne fut pas simple tant je me sentais ébranlé et, malgré l’angoisse qui serrait mon estomac, je me sentais étrangement en sécurité dans ce bureau. Je levai les yeux vers elle, rencontrant un regard qui promettait écoute et discrétion, puis je commençai à parler. Ma voix était d’abord un murmure hésitant, presque inaudible.

« — J’ai… longtemps cru que je pouvais gérer mes problèmes seul. Que montrer mes peurs, mes angoisses serait un signe de faiblesse ! » Ma voix se fit plus ferme, portée par une vague de détermination. « — Mais je réalise maintenant que porter ce fardeau seul ne fait que m’enfoncer un peu plus. » Je faisais une pause, observant le visage du Dr Hart à la recherche d’un signe de jugement. Tout ce que je trouvais, cependant, était un encouragement silencieux à continuer, sans la certitude de pouvoir y parvenir.

« — Tout semble remonter à mon enfance, je pense. » Elle me coupa soudain, le crayon entre les lèvres, avant de reprendre tout en inscrivant quelques mots sur son carnet. « Vous pensez ou vous en êtes sûr ? » J’hésitais, ne sachant pas quoi répondre. Y a-t-il seulement une réponse ? Et pourquoi ai-je commencé d’emblée par parler de ça ? Je me sentais soudainement stupide et fixais la porte, comme si je cherchais à me dérober.

« — Mon père… » je commençais, serrant la mâchoire et tout ce qui pouvait l’être. « — Il était peu présent. Ma mère a fait de son mieux, mais avec deux enfants, il lui arrivait d’être débordée. J’étais l’aîné, un adolescent alors que ma sœur n’était qu’une enfant. » J’avais du mal à avaler, la douleur d’un passé longtemps enfoui se frayant un chemin à la surface. J’inspirais profondément, cherchant le courage de partager ces morceaux de moi que j’avais enfermés si soigneusement. « —Vous savez, Dr Hart, il y a des moments dans notre vie qui nous définissent, des événements qui nous façonnent de manière indélébile. »

Dr. Hart écoutait attentivement, son regard jamais loin de celui de Darren, assurant une présence constante et rassurante. Elle posa son stylo, croisant les mains devant elle, signe qu’elle était entièrement concentrée sur ce qu’il avait à dire. « Darren, il est naturel de chercher des réponses dans notre passé. C’est là que se trouvent nos fondations, pour le meilleur ou pour le pire. Et il n’y a pas de honte à admettre que certaines expériences nous ont laissé des cicatrices. Ce qui compte, c’est la manière dont nous choisissons de les affronter. » Elle lui fit signe de continuer, l’encourageant à aller plus loin dans son récit, à dévoiler ces émotions qu’il avait si longtemps gardées pour lui.

« Votre volonté de vous ouvrir aujourd’hui est un pas courageux, » poursuivit-elle avec douceur. « Parler de ces souvenirs, de ces douleurs, c’est comme ouvrir une fenêtre dans une pièce longtemps restée fermée. Ça peut faire peur au début, à cause de la poussière qui se soulève, mais cela permet aussi à l’air frais d’entrer et de commencer à purifier l’atmosphère. » Dr. Hart marqua une courte pause, lui offrant un sourire encourageant. « Je suis ici non pour juger, mais pour vous accompagner dans ce voyage. Pour vous aider à comprendre ces événements, à les accepter et, éventuellement, à trouver un moyen de les dépasser. »

Elle se pencha légèrement en avant, signifiant son intérêt et son engagement. « Vous mentionnez votre père et le poids que vous avez dû porter en tant qu’aîné. Ces rôles que nous jouons dans notre famille peuvent fortement influencer la personne que nous devenons. » La démarche de Dr. Hart était d’inviter Darren à explorer plus profondément ses sentiments et ses expériences, sans pression ni attente. Elle lui offrait un espace sécurisé pour dénouer les fils complexes de son histoire personnelle, soulignant l’importance de chaque pas fait vers la compréhension de soi.

Face au Dr. Hart, je me sentais comme un livre ouvert, les pages de ma vie tournées au gré des souvenirs, révélant des chapitres que j’avais tenté d’oublier. J’inspirai profondément, cherchant le courage de partager ces morceaux de moi que j’avais enfermés si soigneusement.

« — Le 22 janvier 1995, je m’en souviendrais toute ma vie. » Je marquai une pause, les images de ce jour-là défilant devant mes yeux. « — J’étais jeune, plein de rêves et d’ambitions. Le football était ma vie, et je brillais sur le terrain. Je venais d’un petit endroit en Indiana, où tout le monde se connaissait. Mais cet endroit… il avait ses ombres, notamment une discrimination à peine voilée qui teintait chaque interaction. »

Je poursuivis, la voix empreinte d’une tristesse profonde. « — Le lendemain de notre victoire en championnat, une tempête a frappé notre ville. Une tempête qui a emporté plus que des arbres et des lignes électriques. Elle a emporté ma sœur. Elle n’est jamais rentrée ce jour-là. »

Je sentis ma gorge se serrer à l’évocation de ce souvenir, mais je continuai. « — Tout s’est effondré après sa disparition. Ma famille, mon avenir dans le sport, tout. J’ai été consumé par la culpabilité, me reprochant de ne pas avoir été là pour elle. Et cette quête… cette quête pour la retrouver m’a transformé. »

Je fixai Dr. Hart, mes yeux trahissant la détermination qui m’avait guidé tout au long de ces années. « Je suis devenu journaliste, spécialisé dans la recherche de personnes disparues. J’ai quitté l’Indiana pour New York, espérant laisser derrière moi les douleurs du passé. »

Je laissai échapper un rire sans joie. « — Ironique, n’est-ce pas ? Comment un événement peut détourner le cours de votre vie. J’ai aidé des familles à retrouver leurs proches, mais je n’ai jamais pu retrouver ma sœur. Enfin si, je l’ai retrouvé, il y a peu, du moins ce qu’il en restait. Des os, rien que des os. »

Le Dr Hart écouta attentivement Darren, son visage affichant une expression à la fois concentrée et douce, reflétant une compréhension profonde des émotions traversant son patient. Sans révéler l’origine de son don unique, elle utilisa sa capacité à percevoir et ressentir les émotions brutes de Darren pour orienter la conversation avec une empathie semblant défier toute logique humaine.

« Darren, » commença-t-elle, sa voix enveloppant la pièce d’une chaleur rassurante, « il est évident que vous avez traversé des épreuves laissant des marques profondes sur votre âme. La perte, la culpabilité et la quête de sens face à l’adversité représentent d’immenses défis. » Elle marqua une pause, laissant ses mots imprégner l’atmosphère, avant de poursuivre. « Mais à travers ces épreuves se révèlent également une formidable résilience et une capacité à chercher la lumière, même dans les ténèbres les plus obscures. »

Elle se pencha légèrement en avant, diminuant la distance physique entre eux, un geste qui, dans le cadre de leur échange, semblait aussi réduire la distance émotionnelle. « Parfois, notre chemin vers la guérison débute en reconnaissant que, bien que nous ne puissions modifier le passé, nous avons le pouvoir de modeler notre futur. Votre parcours, Darren, en est la preuve. »

Elle lui offrit un sourire encourageant, un geste simple, mais chargé de signification. « Ensemble, nous explorerons ces souvenirs, nous apprendrons à les comprendre et, finalement, à les accepter comme une partie de vous qui vous a amené ici, mais qui ne définit pas votre avenir. »

Cependant, lorsqu’elle lui toucha la main, un événement étrange se produisit. Elle ressentit un vide intense et un désespoir si profond qu’elle dut un moment reprendre son souffle. Elle retira doucement sa main, non par rejet, mais pour offrir à Darren l’espace nécessaire à l’expression de ses propres émotions.

« Darren, ce vide et ce désespoir que vous ressentez sont des réactions naturelles à vos expériences. Il est crucial de reconnaître et d’accepter ces sentiments, non pour s’y attarder, mais pour commencer à les surmonter. »

Le Dr Hart veilla à maintenir un contact visuel avec Darren, lui montrant qu’elle était présente avec lui, dans ce moment ardu, prête à l’accompagner à chaque étape de son cheminement vers la guérison. « Parfois, le simple fait d’exprimer ces sentiments, de les verbaliser peut commencer à rompre le cycle du désespoir. Je suis ici pour vous écouter, vous soutenir et vous aider à trouver un chemin à travers ces ténèbres. »

Devant le Dr. Hart, je me sens submergé, comme si chaque mot que je prononce déterrait un peu plus de ce passé que j’ai tenté de laisser derrière moi. « — Cela s’est passé il y a plusieurs mois. J’ai dû, bien malgré moi, entreprendre un sordide pèlerinage. Tout d’un coup, cette ville que j’avais cherché à fuir est redevenue le centre de ma vie. » Je marque une pause, non pas pour faire planer le suspense, mais pour remettre en ordre toutes les péripéties de ce voyage sordidement révélateur.

« — Après avoir découvert que les ossements retrouvés étaient ceux de ma sœur, toute ma vie s’est mise à tourner en boucle. Je revivais sans cesse les moments les plus douloureux, surtout cette scène à la morgue… Elle avait été réduite à rien de plus que de petits ossements. Toutes ces années, je m’étais imaginé une fin différente pour elle, pas une aussi tragique. »

À nouveau, je fais une pause, la gorge serrée par l’émotion. Je ne comprends pas, d’ordinaire j’arrive à me contrôler, à garder mes émotions sous un chapeau de plomb. Que se passe-t-il ? Pourquoi soudainement je me mets à ressentir les choses si intensément ? Comment se fait-il que je parvienne à m’exprimer sans entraves ?

« — Et puis il y a eu cette rencontre avec mon père. Ce n’était rien de ce que j’aurais pu espérer. Il a essayé de renouer, comme si l’on pouvait simplement effacer des décennies de négligence et de douleur avec une conversation. J’avais déjà fait mon deuil de lui bien avant celui de ma sœur. Voir qu’il avait refait sa vie, qu’il avait une autre famille et même aspirait à une carrière politique… ça m’a juste montré à quel point nos vies avaient divergé. »

Je secoue la tête, un rire amer s’échappant de mes lèvres. « — Il a dit que ça avait été dur pour lui. Dur ? Il n’a aucune idée de ce que dur signifie. J’aurais voulu lui crier ma douleur, lui dire tout ce que j’ai sur le cœur, mais je ne l’ai pas fait. Je ne voulais pas lui donner cette satisfaction. »

Ma voix se met à trembler, je sens à nouveau la colère m’habiter comme si, à nouveau, je me trouvais face à mon père. Puis c’est la main du docteur que je sens se poser sur la mienne. « — Il voulait que je laisse le passé derrière et que j’avance. Mais comment avancer quand chaque pas me rappelle ce que j’ai perdu ? Comment lui pardonner, comment me pardonner à moi-même pour ne pas avoir été là pour elle ? »

Mes yeux rencontrent ceux du Dr. Hart, cherchant une réponse, un soulagement à cette douleur qui me consume.

« — Je ne sais pas où aller à partir d’ici. Tout ce que je sais, c’est que je ne peux pas continuer à vivre avec ce poids. Je veux trouver la paix. Je pensais y arriver après l’officialisation de la mort de Lys, mais non. Maintenant, je me sens envahi par le doute. »

Le Dr. Hart, toujours aussi attentive, absorba chaque mot de Darren avec une profonde compréhension et une empathie qui semblaient dépasser les limites habituelles d'une connexion thérapeutique. Sa main posée sur la sienne n'était pas seulement un geste de réconfort, mais aussi un symbole de la solidarité et du soutien inébranlable qu'elle lui offrait dans ce moment de profonde vulnérabilité.

« Darren, » répondit-elle d'une voix douce mais ferme, « le chemin que vous parcourez est incroyablement difficile, mais vous n'êtes pas seul. La douleur et le doute que vous ressentez sont des réponses naturelles à l'énormité de ce que vous avez découvert et aux confrontations que vous avez eues. Cependant, le fait que vous soyez ici, partageant ces expériences, montre votre force et votre volonté de guérir. »

Elle fit une courte pause, laissant ses paroles imprégner l'espace entre eux. « Concernant votre relation avec votre père, il est clair que cela vous cause une grande douleur. La réconciliation, ou même le pardon, ne sont pas des chemins que tout le monde doit emprunter. Parfois, il est plus sain de reconnaître et d'accepter que certaines blessures peuvent ne jamais se refermer complètement, mais cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas avancer et trouver la paix. »

Le Dr. Hart leva doucement la main de Darren, un geste qui invitait à la réflexion plutôt qu'à la consolation immédiate. « Quant au pardon envers vous-même pour ne pas avoir été là pour Lys, il est important de reconnaître que vous étiez aussi un enfant à l'époque, confronté à des circonstances dépassant de loin ce que quiconque devrait avoir à gérer. Se blâmer pour des événements sur lesquels vous n'aviez aucun contrôle ne fera que prolonger votre douleur. »

Elle inclina la tête, capturant son regard avec une intensité qui le força à vraiment l'écouter. « Trouver la paix est un processus, pas une destination soudaine. Cela implique d'apprendre à vivre avec le passé, pas de l'oublier. Cela signifie aussi s'accorder de la compassion à soi-même, autant qu'on le ferait pour un ami cher. Je crois qu'une partie de vous connaît déjà le chemin vers cette paix. Cela commence par accepter que vous avez le droit de vous sentir blessé, en colère et perdu, mais aussi que vous avez le droit de chercher le bonheur et la sérénité malgré tout ce que vous avez traversé. » Elle s'efforça de sourire, mais au fond d'elle, une profonde détresse l'attirait irrésistiblement vers le fond. Les abysses demeuraient froids. Était-ce ce qu'il ressentait dans ses cauchemars ?

Je prends une profonde inspiration, absorbant les paroles réconfortantes du Dr Hart. Puis, voilà que mon regard se perd un instant dans le vide, comme si je cherchais les réponses au fond de mon âme.

« — Vous avez raison, Docteur Hart, » commençai-je lentement, en essayant de me convaincre. « — Trouver la paix ne doit pas être le seul objectif. Je dois avancer à travers mon passé et réussir à dompter toutes mes émotions pour mieux avancer vers la guérison et la résilience. » Elle acquiesce, je me tourne légèrement vers elle, nos regards se croisent et l’espace d’un instant, je ressens à nouveau cet étrange sentiment qui d’ordinaire, accompagne ces odieux cauchemars devenus encore plus fréquents depuis la découverte des ossements de ma sœur.

« — Je sais que je ne suis pas dépourvu de ressources pour affronter ces défis. » Encore une fois, je tente de me convaincre. J’aimerais tellement me sentir plus léger, comme si une partie du fardeau que je porte depuis des années commençait enfin à s’alléger. J’aimerais tant pouvoir entrevoir une lueur d’espoir dans les ténèbres de mon passé. Mais non, encore une fois, je me sens submergé par des émotions que je n’arrive ni à contrôler ni à comprendre pour le coup. Et je sais ; j’en suis sûr pour une inexplicable raison, que le docteur Hart perçoit mon trouble, mais elle demeure silencieuse et ne cherche pas à m’interrompre.

« — Le chemin n’est jamais facile en de telles circonstances, n’est-ce pas ? Et il le sera encore plus… » J’ai à peine le temps de formuler ma phrase que déjà la première interrogation fuse dans la bouche d’Emilia Hart. Nos regards se croisent à nouveau et je sens émaner d’elle, outre de la bienveillance, une émotion profonde que je ne parviens à identifier. C’est comme si soudainement, elle semblait porter tout le poids du monde sur ses épaules.

« — Pourquoi ? » réitérais-je afin de m’assurer qu’elle avait bien posé la question. Elle acquiesce aussitôt, m’obligeant à reprendre. Je marque une pause, laissant mon interrogation résonner dans la pièce, puis reprends :

« — Je veux aller de l’avant, faire tout ce que vous avez dit, je le sens au fond de moi, j’en ai vraiment envie. Je veux guérir, aller de l’avant. » Guérir, m’entends-je dire. Je n’arrête pas de parler de guérison, comme si je portais en moi une blessure impossible à soigner. Évidemment que c’est impossible de passer outre la tristesse qui m’envahit en pensant à Lys. C’est un deuil impossible, je le sais. La culpabilité, sûrement. Mais le toubib a raison, tout cela n’était qu’un mauvais concours de circonstances, une succession de malchance que je n’aurais pas pu prédire.

« — C’est autre chose… » dis-je dans un murmure, pour moi. C’est à ce moment qu’un léger bip me fait sursauter. Le docteur Hart regarde sa montre et soupire. La séance est à présent terminée et il nous faut nous résoudre à nous séparer.

Le Dr Hart observait attentivement Darren alors qu’il exprimait ses sentiments tumultueux. Elle inclinait légèrement la tête, signe de son écoute active, et prenait la parole doucement, s’assurant que ses derniers mots pour cette séance laisseraient une empreinte constructive.

« Darren, » commençait-elle d’une voix douce, mais ferme, « le chemin vers la guérison est, en effet, semé d’obstacles et n’est jamais linéaire. »

Elle marquait une pause, lui donnant le temps de digérer ses paroles. « Vous avez parlé de culpabilité et de deuil, de ces sentiments qui semblent insurmontables. Mais chaque fois que vous partagez ces pensées, chaque fois que vous reconnaissez ces émotions, vous faites un pas vers leur maîtrise. Vous apprenez à les connaître, et en les connaissant, vous apprendrez à ne plus les laisser vous contrôler. »

Le Dr Hart se penchait légèrement en avant, réduisant la distance entre eux. « La fin de cette séance ne signifie pas la fin de notre travail ni la fin de votre progression. D’ici notre prochaine rencontre, je vous encourage à réfléchir à ce que guérir signifie pour vous. Non pas comme un état parfait ou un endroit sans douleur, mais comme un processus où vous apprenez à vivre avec votre passé, à accepter ce qui ne peut être changé, et à vous réconcilier avec le fait que vous avez fait et continuez de faire de votre mieux. »

Elle se levait, mais ses yeux restaient fixés sur Darren, transmettant un message de réconfort. « La guérison prend du temps, et c’est bien. Laissez-vous ce temps. » Avec un dernier sourire empreint d’une empathie certaine, le Dr Hart ajoutait, « Prenez soin de vous, Darren. Et souvenez-vous que chaque petit pas est un progrès. » Alors que Darren se préparait à partir, il emportait avec lui non seulement le poids de ses luttes, mais aussi un sentiment renouvelé d’espoir et, malgré la complexité de ses émotions, il avançait sur le chemin de la guérison.

Quelques jours après ma dernière séance avec le Dr Hart, je me retrouve une fois de plus dans le confort relatif du bureau du docteur, ce lieu qui est devenu, l’espace d’un instant, un sanctuaire de compréhension et de progression, malgré la douleur. Mais tout cela est relatif, voire incertain à présent. Malgré mes efforts, rien ne semble s’améliorer. Les cauchemars, autrefois un simple bruit de fond de mon esprit, se sont intensifiés ces derniers jours. Ils sont devenus intenses et insupportables, au point de m’obliger à affronter les mécanismes de défense que j’avais construits depuis si longtemps. Je me sens tellement désarmé à présent, au point que je pousse à l’écart toutes les personnes qui comptent pour moi. « C’est plus facile comme ça ! »

Assis face au Dr Hart, je sens la tension de ces derniers jours peser sur mes épaules. « — Dr Hart, » commençais-je d’une voix éraillée, trahissant les nuits sans sommeil et la lutte interne que je subissais. « — Ces derniers jours ont été… difficiles. » Mes traits tirés et les cernes sous mes yeux parlent d’eux-mêmes, même si je suis certain qu’elle l’avait déjà compris bien avant que je ne commence à parler. Je le vois dans son regard, dans sa posture, elle semble aussi tendue que moi.

« — Les cauchemars sont devenus si réels, presque palpables. C’est comme si, en parlant de ces vieux souvenirs, nous avions ouvert une porte que je ne peux plus fermer. » Je marque une pause, mes mains jointes tremblant légèrement alors que je tente de mettre de l’ordre dans mes pensées pour essayer de me donner de la contenance.

« — Je me revois dans l’eau, mais ce n’est plus seulement la sensation de me noyer. Je vois des ombres, des silhouettes. Et j’ai cette impression d’impuissance qui m’assaille sans cesse, comme un enfant, incapable de m’échapper ou de protéger Lys. »

Je lève les yeux vers le Dr Hart, cherchant dans son regard une étincelle de compréhension. « — C’est étrange, mais depuis que nous avons commencé à parler de ces choses que j’avais enfouies, il me semble que mon esprit tente de me montrer ce que j’ai passé des années à ignorer. Comme si… accepter de parler de mon passé commençait à déverrouiller quelque chose en moi. Je ne sais pas si je dois avoir peur de ces révélations ou si je devrais me sentir libéré. »

Je prends une profonde inspiration, cherchant la force de continuer. « — Je me sens déchiré, c’est comme si je découvrais des pièces d’un puzzle que j’avais oublié, ou que j’avais choisi d’oublier. »

Je fixe de nouveau le Dr Hart, cherchant non seulement du soutien, mais aussi une affirmation que ce chemin, aussi douloureux soit-il, mène à une destination de guérison et de paix. Je tente de m’en convaincre, car pour l’heure, c’est tout ce dont j’ai besoin.

« — Je ne sais pas ce que tout cela signifie, mais j’ai besoin de comprendre mon passé pour pouvoir vivre pleinement mon présent. Mon dieu… » je laisse ma phrase en suspens, me sentant presque ridicule. « — Ça sonne comme un mauvais slogan ou la réplique éculée d’un film. »

Le Dr Hart écoute attentivement Darren, absorbant chaque détail de son récit. Elle reste silencieuse un moment, respectant l’espace nécessaire pour que son patient puisse s’exprimer sans entrave. Mais elle ne peut nier ressentir quelque chose de désagréable. La voilà qui semblait percevoir les vagues d’angoisse et de douleur émanant de Darren. Elle absorbe discrètement ces émotions, une tâche qui, bien que lourde et souvent épuisante, fait partie intégrante de son donc et de sa méthode pour aider ses patients. Tout en écoutant Darren, elle fournit un effort conscient pour maintenir son propre équilibre émotionnel, sachant que la souffrance qu’elle perçoit est un indicateur de ce que Darren lui-même n’est pas encore prêt à affronter pleinement.

« Darren, » commence-t-elle, sa voix douce, mais ferme, tentant de cacher la lourdeur qu’elle ressent de ses propres pouvoirs d’empathie, « ce que vous vivez en déverrouillant ces souvenirs est un processus nécessaire, bien qu’intensément difficile. Votre esprit vous montre ces images, ces fragments de votre passé, parce qu’il juge que vous êtes prêt à les affronter, même si cela peut sembler insurmontable. »

Elle fait une pause, ressentant la tension dans son propre corps alors qu’elle parle, une réaction physique à la douleur qu’elle perçoit chez Darren. « C’est un signe de guérison, bien que cela puisse ne pas le sembler maintenant. C’est douloureux et parfois terrifiant, mais c’est aussi un pas vers la libération de ce poids que vous portez depuis si longtemps. »

Le Dr Hart se penche légèrement en avant, réduisant la distance entre elle et Darren. « Vous ne découvrez pas seulement des pièces d’un puzzle oublié, Darren. Vous assemblez ces pièces pour construire une image plus complète de votre histoire, ce qui est essentiel pour vous reconstruire et avancer. » Elle prend une profonde inspiration, cherchant à alléger la charge émotionnelle qu’elle partage avec Darren. « Il est naturel de se sentir déchiré, de se sentir comme si l’on découvrait des parties de soi que l’on aurait préféré oublier. Mais vous n’êtes pas seul dans cette découverte. Je suis là avec vous, prête à vous aider à naviguer dans ces eaux troubles, à comprendre et à intégrer ces souvenirs pour trouver une paix durable. »

Avec un sourire rassurant, elle ajoute : « Vous parlez de guérison comme d’un idéal lointain, mais chaque conversation que nous avons, chaque prise de conscience, même douloureuse, est un pas vers cette guérison. Vous construisez la résilience et la compréhension, pièce par pièce. »

Le Dr Hart, tout en maintenant son empathie et en ressentant la douleur émotionnelle de Darren, saisit l’opportunité d’explorer des techniques qui pourraient aider à déverrouiller les souvenirs encore cachés par les mécanismes de défense de son esprit. Elle sait combien ces verrous sont à la fois des protecteurs et des obstacles à la guérison.

« Darren, » reprend-elle, toujours douce, mais assurée, « votre esprit travaille très dur pour vous protéger, verrouillant certaines mémoires qui pourraient être trop douloureuses à affronter tout de suite. C’est une réponse naturelle à la douleur et au trauma. Mais lorsque vous êtes prêt, il existe des moyens doux de commencer à lever ces verrous, des méthodes qui peuvent vous aider à accéder à ces souvenirs de manière contrôlée et sécuritaire. »

Elle propose alors, « Une approche pourrait être l’utilisation de photos de votre enfance ou d’objets qui étaient importants pour vous à l’époque. Parfois, ces images ou ces objets peuvent agir comme des clés qui ouvrent doucement les portes de la mémoire. »

Puis, elle continue, « Les odeurs sont également incroyablement puissantes pour évoquer des souvenirs. Peut-être y a-t-il des parfums ou des odeurs spécifiques qui vous rappellent votre enfance ? Les explorer dans un environnement sûr peut vous aider à accéder à des souvenirs verrouillés. »

Après avoir écouté attentivement les suggestions du Dr Hart, je ressens un mélange de soulagement et de malaise à l’idée de revisiter des fragments de mon passé que mon esprit a consciemment choisi de verrouiller. Si ces souvenirs ont été occultés, c’est sûrement pour une raison sérieuse, mais quelque chose au fond de moi me pousse à croire que je dois les affronter. Ainsi, je prends une profonde inspiration, rassemblant mes pensées avant de formuler une réponse.

« — Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre soutien et la compréhension que vous montrez, » dis-je, ma voix tremblante, mais déterminée à rester ferme malgré l’image que je pourrais renvoyer. Je ne veux pas paraître faible, même si je sais que le Dr Hart n’en a rien à foutre dans le fond.

Je marque une pause, reconnaissant intérieurement la patience du Dr Hart qui a gardé le silence. « — L’idée d’utiliser des photos et des objets de mon enfance est intrigante, mais également terrifiante. » Je pense à cette boîte en carton que j’ai conservée et qui se trouve quelque part dans cet appartement que j’ai déserté depuis des mois. Elle est remplie de vieux souvenirs, de quelques photos, et de babioles liées à un passé que j’ai cherché à fuir. Peut-être que cela fera l’affaire.

« — Mais je dois le faire. » Je réfléchis à l’impact potentiel de ces actions. « — Ces derniers jours, les cauchemars se sont intensifiés, me faisant réaliser que je ne peux plus fuir. Si ces souvenirs sont la clé pour comprendre et traiter ce qui m’est arrivé, alors je dois être prêt à les affronter. »

Je regarde le Dr Hart, cherchant un peu de courage dans ses yeux. « — Je ne sais pas ce que je découvrirai ni ce que je ressentirai, mais je suis prêt à essayer. Avec votre aide, je pourrais peut-être déverrouiller ces parties de mon histoire et vraiment commencer à guérir. Je ne veux pas que mon passé continue à définir mon avenir. »

Je souris légèrement, une lueur d’espoir naissant malgré l’appréhension. « — Quant aux odeurs, je me souviens d’un parfum particulier de jardin après la pluie, quelque chose de très doux et terreux que ma mère adorait. Peut-être que commencer par-là pourrait m’aider à me reconnecter avec des souvenirs moins douloureux, pour équilibrer les moments difficiles. » Et c’est sur ces mots, comme si le timing était parfait, que le bip signalant la fin de la séance retentit.