D ire que tout allait bien dans le meilleur des mondes serait mentir ou se voiler la face, chose qu’Haytham n’était pas prêt à faire. Cependant, il fallait reconnaître une progression dans leur relation et un apaisement bienvenu en ces temps troublés. Pourtant, rien n’était facile, et le demi-dieu savait d’expérience que cette tranquillité apparente était éphémère. Mais il avait accepté cette réalité. La prochaine étape était d’accepter que Tam joue le rôle d’agent double et risque sa vie tous les jours, alors qu’Haytham restait derrière ses fourneaux. Pour l’instant, il était dans la cuisine de leur appartement new-yorkais, préparant quelque chose pour soulager la douleur de sa femme, qui évoquait encore amèrement le fameux soir au musée.

« — Je n’ai pas dit que c’était triste, mais regrettable de déplorer la perte de quelques vies. Mais vu sous cet angle, le regret est amoindri. D’ailleurs, on n’a jamais vraiment eu l’occasion d’en parler lorsque tu étais capturée », dit-il d’une voix courtoise, laissant entendre qu’il était prêt à écouter si elle souhaitait parler des événements qui l’avaient conduite à sa captivité. Les états d’âme étant à l’ordre du jour, le guerrier-cuisinier évoqua son ressenti face aux pertes du côté des demi-dieux, en particulier la disparition de jeunes enfants semi-divins, et s’interrogea sur les compétences de Chiron. À sa grande surprise, Tam érigea un argumentaire en faveur du directeur de la colonie, bien qu’il fût probablement malgré lui.

« — Qui aurait cru que Tamara Lond défende un vieux centaure ? » s’étonna-t-il. Peut-être avait-elle raison, peut-être que tout n’était qu’une question de mauvaise influence et de décisions tout aussi contestables de la part des jeunes. Un constat peu réjouissant qui amenait la jeune femme à s’interroger sur l’avenir de leur propre progéniture. Ce qui lui valut un soupir interminable de la part de son homme, l’indécrottable optimiste, qui devait bien admettre que les inquiétudes de son grand amour étaient justifiées.

« — Je ne veux pas m’imaginer un avenir sinistre. Je suis persuadé qu’une cohabitation est possible entre les humains, les créatures et les demi-dieux. Cependant, je me doute qu’il faudra faire des choix, comme couper les mauvaises herbes par exemple », répondit-il avec espoir. Mais puisqu’il se refusait à laisser les ondes négatives reprendre le contrôle de leur conversation, Hay se laissa aller à considérer l’idée de prendre quelques jours pour passer du temps avec sa famille tout en achevant de préparer l’infâme mixture qu’il s’apprêtait à servir.

« — Mon petit cul d’insolent ? Tu es encore en colère, on dirait. Non parce qu’en général, il y a toujours un adjectif élogieux qui accompagne mon petit cul quand tu en parles. » Il lui tendit le mug fumant avant de déposer la casserole dans l’évier et de la remplir d’eau chaude pour la nettoyer. Tam, quant à elle, ne se fit pas prier pour faire savoir à quel point la préparation était infecte, ce qui fit sourire son mari. Il avait un torchon sur l’épaule et les bras croisés, et il l’observait grimacer.

« — Il faut souffrir pour se remettre sur pied. Et non, moi je vais très bien, donc je n’ai pas besoin de boire cette mixture. » Mais Tam ne venait-elle pas de le mettre au défi en lui tendant le mug et en croisant les bras pour mieux l’observer ? « — Ok, j’ai compris ! » Il se saisit donc de la tasse et y trempa ses lèvres avant de finalement prendre une grosse gorgée sans grimacer. « — Petite nature ! » Il ne pouvait nier que c’était dégueulasse, mais l’air de défi qui s’affichait sur le visage de Tam incita Haytham à ne rien laisser paraître de son dégoût. « — Allez, c’est fini ! » Pour cela, il lui tendit à nouveau la tasse fumante avant de finir de laver la casserole qui se trouvait dans l’évier.

Un sujet de conversation en entraînant un autre, il fut rapidement question du restaurant et de cette nouvelle carrière que le demi-dieu avait choisi d’épouser sans trop se poser de questions.

« — Eh bien ça marche plutôt pas mal. J’ai une clientèle assez jeune et des habitués déjà fidèles. Le seul truc qui me tracasse, c’est tout ce qui touche à la comptabilité, aux charges et à la paperasse en général. Je pense que je vais engager quelqu’un pour m’aider avec ça. Quant à madame Lignac, oui, elle est au courant de tout. Je l’ai eue au téléphone l’autre jour pour échanger. J’avais besoin d’idées pour la carte spéciale Saint-Valentin et c’est Maisie qui a eu l’idée d’un menu Français pour célébrer l’amour. C’est pourquoi j’ai appelé notre vieille amie. Elle est contente que j’aie choisi cette voie, et ça fait plaisir. Et toi, as-tu des nouvelles de La Nouvelle-Orléans, de ta mère ? » Il a sciemment omis de questionner Tam sur son père, leur relation n’étant pas au beau fixe, malgré les multiples tentatives de rapprochement de Victor Lond.

L eur précédente dispute semblait un lointain souvenir à présent. Cependant, Haytham préférait ne pas se reposer sur ses lauriers. Connaissant le caractère de Tamara, il savait qu’il n’était jamais à l’abri d’une nouvelle confrontation, qui, malgré tout, serait moins virulente cette fois-ci. C’était une victoire en soi, mais Haytham avait appris que la prudence était de mise avec Tamara.

Après tout ce qu’ils venaient de vivre, Haytham préférait relativiser. Il avait alors eu l’idée de concocter une mixture peu ragoutante, mais qui avait des propriétés bénéfiques pour amoindrir les douleurs de Tamara. Malgré la couleur peu engageante du breuvage, Haytham avait mis tout son savoir-faire de demi-dieu pour la préparer. Et l’efficacité évidente de cette concoction n’était plus à démontrer.

Pourtant, Tamara n’était pas très emballée par le goût de la mixture, ce qui fit sourire légèrement Haytham. Mais ce n’est pas le dégoût de sa femme qui le fit rire, mais bel et bien la comparaison qu’elle venait de faire.

« — Du poil au menton et des nénés, vraiment ? Heureusement que tu n’as pas visé plus bas pour les mecs », s’exclama-t-il avec humour. Cette réplique avait permis de détendre l’atmosphère entre eux. En fin de compte, Haytham avait compris que la clé pour éviter les conflits avec Tamara était de prendre du recul et de relativiser.

« — Et en parlant de notre petite princesse, je suis moi-même étonné de constater que ses pouvoirs commencent déjà à se développer. Peut-être devrais-je en parler avec Charon. Il a sûrement déjà vécu ce genre de situation », déclara-t-il, avant de remarquer que leur complicité était de retour, après ce qui semblait un compliment de la part de sa belle femme volcanique.

« — Ah ! Donc pour les femmes, “petit cul” est élogieux, c’est bien de le savoir », rétorqua-t-il avec un sourire amusé en lui tendant la mixture peu appétissante. Cependant, la belle agente de terrain n’était jamais avare de défis, elle n’a pas pu résister à l’envie de tester son mari en lui proposant de boire à son tour le breuvage. Haytham essaya de la persuader que ce n’était pas si terrible, bien qu’il pensait le contraire. En réalité, la texture et le goût de la mixture n’étaient pas en faveur de la boisson. Tamara, une fois le verre en main, ne se priva pas de le vider dans le lavabo pour préserver ses papilles. Haytham n’était pas surpris de voir que Tamara avait jeté la mixture. Il rit légèrement devant la réaction de sa femme et se mit à nettoyer le lavabo. Toutefois, il se promit d’améliorer sa recette pour la prochaine fois.

La conversation reprit sur un ton plus posé, le demi-dieu n’étant plus sur la réserve et ayant perçu les efforts de sa femme pour maintenir la paix entre eux. En retour, Haytham se montra plus affable dans ses paroles ; comment ne pas l’être lorsqu’il s’agissait d’un sujet qui l’inspirait, en l’occurrence son restaurant. Malgré les quelques tracasseries administratives, il ne boudait pas son plaisir et semblait enfin avoir trouvé sa place.

« — C’est super si l’on oublie la partie administrative. Mais je ne vais pas me plaindre, je fais ce que j’aime et ce n’est pas du tout un champ de bataille », déclara-t-il. Il est vrai que pour un fils de Mars, le destin semblait tout tracé. Mais parfois, fort heureusement, la pomme tombe loin de l’arbre. Dès lors, l’évidence n’est plus de mise. Puisqu’il était question de famille, Haytham demanda quelques nouvelles de la famille Lond.

« — Ce n’est pas tout près, mais je peux comprendre qu’elle puisse appréhender un retour sur le domaine », répondit-il. Ce constat et les souvenirs qu’il engendrait causèrent de la peine à Haytham. Le domaine représentait tant de choses pour lui et pour la famille Lond. Et une fois encore, le malheur était venu entacher cet endroit qu’ils considéraient à juste titre comme leur chez eux.

« — C’est triste de voir que notre domaine n’est plus aussi paisible qu’auparavant », répondit Haytham d’une voix chargée de tristesse. Il était vrai que le domaine était un endroit cher à leur cœur, où ils avaient tous grandi et créé de nombreux souvenirs. Mais depuis les événements malheureux qui s’y étaient déroulés, il était difficile de le considérer comme un lieu de paix et de réconfort. Pourtant, Haytham ne perdait pas espoir qu’un jour les choses finissent par s’arranger.

« — Peut-être devrions-nous faire venir les Lignac à New York. Ce n’est pas comme si nous étions limités en place. L’appartement est grand et il y a une chambre d’amis. Pour ce qui est du domaine, peut-être pourrais-je essayer de demander à Chiron de protéger les lieux. Je trouverais tellement triste que ta mère ne puisse plus retrouver le domaine. Cet endroit est son paradis autant que le nôtre. Qu’en penses-tu ? »

H aytham, toujours désireux de bien faire, envisagea d’interroger Chiron concernant la précocité d’Eileen, une idée qu’il jugeait excellente. Le centaure, avec sa stature imposante et ses yeux sages, incarnait une figure paternelle empreinte de sagesse à laquelle on pouvait facilement se rattacher en cas de difficultés, quelle qu’en soit la nature. La capacité d’Eileen à développer des compétences à un si jeune âge constituait une problématique appropriée pour solliciter les conseils du centaure.

Cependant, il était évident que cela contrariait profondément la jeune mère au tempérament aussi ardent que le feu. Les yeux d’Eileen étincelaient toujours d’une lueur vive et curieuse, signe indéniable de son intelligence précoce. Son esprit semblait se nourrir de chaque expérience, absorbant les connaissances du monde qui l’entourait avec une avidité étonnante. Chaque nouvelle compétence développée par sa fille était à la fois une source de fierté pour Haytham et une préoccupation pour Tam.

Presque immédiatement, Hay remarqua le soudain raidissement de Tam à la simple mention de Chiron. Il perçut une pointe d’amertume traverser le regard de sa femme, mêlée à une certaine appréhension. Son inquiétude était compréhensible, car Chiron représentait une figure d’autorité extérieure à la famille, et qui plus est, mythologique. Il était perçu comme une menace supplémentaire pour Tam, qui ne souhaitait en aucun cas mêler sa fille à tout cet univers empreint de mystères et de dangers. Haytham, quant à lui, ne voyait pas de problème et s’efforçait de se montrer rassurant, conscient des craintes légitimes de sa femme.

La simple idée d’interagir avec Chiron ravivait chez Haytham un sentiment d’émerveillement. Depuis qu’il avait découvert l’existence du centaure, il avait été fasciné par sa sagesse et son savoir. Chiron était connu pour ses conseils éclairés et son empathie envers ceux qui cherchaient son aide. Haytham espérait trouver en lui un soutien pour mieux comprendre les talents précoces d’Eileen et les accompagner de manière adéquate.

Pourtant, il savait que convaincre Tam de l’utilité d’une telle démarche serait un défi. Tam était une mère protectrice et dévouée, dont l’amour pour sa fille était inconditionnel. Elle redoutait que l’implication de Chiron n’expose Eileen à des situations inconnues et potentiellement dangereuses. Les craintes de Tam étaient accentuées par le fait que Chiron appartenait au monde mythologique, un univers qui semblait étranger et menaçant à ses yeux.

« — Non, je ne lui ai pas encore parlé de Chiron », répondit-il d’une voix teintée de préoccupation. Il pouvait percevoir les sentiments contradictoires qui animaient sa femme, oscillant entre l’envie de chercher de l’aide et la crainte d’une possible remise en question de son rôle de mère. Les soucis se lisaient sur son visage, marquant ses sourcils légèrement froncés et les plis d’inquiétude au coin de ses yeux. Haytham savait qu’il devrait aborder le sujet avec délicatesse pour apaiser les appréhensions de Tam et trouver un terrain d’entente, afin d’éviter une énième confrontation.

« — Si ça t’angoisse vraiment, on peut effectivement essayer de nous débrouiller pour l’instant. » Haytham cherchait les mots justes, conscient que chaque phrase pouvait influencer l’humeur de Tam. Il comprenait que la simple évocation de Chiron avait suffi à ternir l’atmosphère et à briser le charme qui avait enveloppé les deux parents. Les jeux de séduction et les regards complices avaient laissé place à une réserve et à une distance légèrement perceptibles, créant une ambiance un peu malaisée. Tam avait choisi d’appuyer ses paumes contre le plan de travail, signe manifeste de son stress et de son besoin de stabilité.

Le demi-dieu réfléchissait à la manière dont il pourrait améliorer et enrichir son discours pour mieux communiquer avec Tam. Il sentait l’urgence de trouver une solution qui convienne à tous les membres de la famille. Il ne voulait pas que l’épanouissement d’Eileen devienne un motif de discorde et de tension entre lui et Tam. Il comprenait les réticences de Tam à impliquer une figure extérieure dans leur vie, et il décida donc de temporiser.

Par chance, l’évocation du restaurant et de sa nouvelle carrière permettait d’aborder un sujet plus léger, moins propice à la tension. Haytham parlait de son métier avec passion, malgré les quelques difficultés administratives auxquelles il était confronté, lui qui n’était pas un adepte de la paperasse.

« — Tu as sûrement raison. Je devrais envisager d’embaucher quelqu’un pour gérer tout cela. J'espère juste trouver un demi-dieu à l'aise avec les chiffres et la paperasse. » Haytham exprima ainsi sa gratitude envers Tam pour sa contribution à la résolution de ce problème. Il espérait que cette transition vers un sujet plus léger détendrait l’atmosphère et leur permettrait d’oublier, ne serait-ce que momentanément, leurs inquiétudes concernant l’éducation d’Eileen.

Un sujet léger en entraînant un autre, du moins c’était l’idée qui germa dans l’esprit du fils de Mars. Il essaya alors de prendre des nouvelles positives de sa belle-famille qui avait déménagé en Chine. Victoria Lond avait décidé de ne pas retourner à La Nouvelle-Orléans et à la grande demeure où Tamara était née, car elle avait été ternie par quelques malheurs malheureux. Puis presque aussitôt, en plongeant dans ses pensées, Haytham se laissa envahir par l’image majestueuse de l’imposant domaine des Lond, dont les vastes jardins verdoyants s’étendaient à perte de vue. Son esprit se tourna alors vers ceux qui avaient pris soin de cet endroit avec dévotion pendant tant d’années, les Lignac. Des individus chers au cœur du demi-dieu, avec lesquels il entretenait une relation empreinte de respect et d’affection. Ces gardiens de l’héritage des Lond étaient devenus une part intégrante de sa vie.

Au fur et à mesure que ses pensées prenaient forme, Haytham se surprit à imaginer les Lignac marchant dans les allées bordées de roses et prenant soin des parterres fleuris. Ils étaient des gardiens loyaux, veillant avec passion sur chaque détail de ce domaine qui semblait tout droit sorti d’un conte de fées. C’était précisément cette profonde affection qui le poussait à proposer à ces fidèles serviteurs de les inviter à rejoindre New York.

Cependant, lorsqu’il exprima cette idée à Tamara, il remarqua l’étonnement dans les yeux de celle-ci. Elle avait raison de s’interroger sur les conséquences de ce choix.

« — Tu crois que c’est une mauvaise idée ? » demanda-t-il, conscient qu’il n’avait pas envisagé les implications de ce voyage forcé pour monsieur et madame Lignac. Il réalisa alors que ce changement les obligerait à quitter la nature verdoyante de Baton Rouge pour se confronter à l’urbanité de New York, avec ses buildings imposants et son paysage de béton. La transition de cet environnement idyllique à l’agitation citadine pourrait être un défi pour eux, un sacrifice qu’il n’avait pas suffisamment pris en compte.

Cependant, la réponse de Tamara fit naître un sourire sur le visage d’Haytham. L’idée que monsieur Lignac s’approprie Central Park pour en prendre soin avec la même dévotion qu’il accordait au domaine des Lond était tout simplement irrésistible. Il se remémora ensuite les délicieux moments passés en compagnie de madame Lignac, qui lui avait transmis son savoir-faire en matière de cuisine et lui avait donné le don de préparer de savoureux plats. Cette pensée réconfortante apaisa les inquiétudes d’Haytham, car il réalisa que la présence des Lignac à New York serait une chance de perpétuer leurs traditions et d’apporter une touche de chaleur et de convivialité à la métropole animée.

« — Je les imagine bien installés ici, à partager quelques anecdotes exquises. Les plats délicieux de madame Lignac embaumeraient les rues de saveurs envoûtantes et émerveilleraient les palais. Et puis, c’est aussi l’occasion pour elle de me transmettre quelques recettes que je me ferais un plaisir d’essayer au restaurant. » Mais Haytham peut être un peu trop confiant à présent, se risqua à évoquer à nouveau Chiron, ce qui amoindrit presque aussitôt le doux sourire de Tamara.

« — Je devrais éviter les sujets mythologiques en ta compagnie. Je vois bien que ça te crispe. Mais sache que je suis à peu près certain que Chiron n’est pas dans le collimateur du BEM. Cependant, si ça peut te rassurer, on peut chercher une autre solution pour que le domaine de tes parents soit à nouveau paisible, assez pour que ta mère n’ait plus peur de s’y aventurer. »

« — Pas que pour l’instant. On va faire comme tous les parents et gérer notre enfant. » Cette phrase résonnait encore dans l’esprit du demi-dieu. Il n’y avait aucune marge de négociation, c’était un refus catégorique, et toute tentative de négociation risquait de raviver les hostilités, ce que Haytham voulait absolument éviter maintenant que la dispute était passée. Parler de son restaurant semblait donc la meilleure option pour maintenir le calme.

Haytham, bien qu’il soit fier de son restaurant, avait toujours quelques soucis avec la paperasse, un problème qu’il partageait sûrement avec Tamara, qui préférait davantage le terrain à la rédaction. Cependant, cela ne résolvait pas le dilemme du demi-dieu. Mais à sa grande surprise, c’est Tamara qui semblait la plus inspirée des deux et qui, par conséquent, proposa une idée originale, mais pas idiote. « — Hé, tu sais quoi ? Ce n’est pas une mauvaise idée. Je n’y avais pas pensé », dit-il peut-être aussi pour encourager sa femme par rapport à l’idée qu’elle venait de soumettre. Mais dans le fond, il fallait bien reconnaître une certaine ingéniosité à la proposition. « — Je vais voir si je trouve un adepte des chiffres dans mon carnet de contacts. » Et il est vrai qu’un fils de Phébus pourrait aisément faire l’affaire dans de telles circonstances.

Un sujet en entraînant un autre, le fils de Mars, se rappelant de madame Lignac et de son mari, envisagea très sérieusement de les faire venir jusqu’à New York, avant de se questionner sur le bien-fondé de cette idée. Mais une fois encore, Tamara semblait entrevoir un semblant de positivité, malgré le fait que le domaine de la famille Lond soit délaissé l’espace d’un instant.

« — On pourrait les faire venir juste le temps nécessaire dans ce cas. Ton père pourrait aussi envisager d’engager un peu plus de personnel pour les soutenir. Même si les Lignac s’en offusquent, ils ne sont plus très jeunes. » Le sourire qui s’afficha sur le visage de Tamara remplit de joie notre demi-dieu. Il se sentait chanceux d’avoir une partenaire aussi pragmatique et créative à ses côtés. Mais plus encore, une personne qui savait le charrier mieux que quiconque et qui prenait donc grand plaisir à le taquiner un peu.

« — Comment ça, pour me la péter ? Je ne suis pas de ce genre, voyons. J’ai juste envie de les revoir et peut-être de bénéficier d’une ou deux astuces de madame Lignac », répondit-il avec un sourire complice, accompagné d’un clin d’œil. L’ambiance était chaleureuse et bon enfant, ce qui comblait de joie le demi-dieu qui ne boudait pas son plaisir de retrouver sa Tamara. Cependant, les bonnes choses ayant une fin, il se risqua à nouveau à aborder le sujet qui semblait être tabou. Presque aussitôt, le sourire « tamaranien » disparut, laissant place à une expression plus sérieuse, ce qui fit réaliser à Haytham à quel point il avait commis une erreur en remettant le couvert sur le sujet mythologique.

« — Tam… » lâcha-t-il à sa suite, après que la jeune femme eut fait entendre sa désapprobation et exprimé son refus de mêler sa famille à Chiron ou à qui que ce soit d’autre en provenance de la colonie. Une fois de plus, elle était catégorique et ne laissait aucune marge de manœuvre pour la moindre négociation, peu importe si Haytham avait l’intention de s’y risquer.

Haytham baissa les yeux, comprenant qu’il avait franchi une ligne qu’il aurait dû éviter. Il savait combien Tamara attachait de l’importance à leur vie quotidienne, loin des conflits et des dangers qui les entouraient. Il avait fait preuve d’imprudence en évoquant de nouveau des éléments liés à leur passé mythologique. Alors qu’il s’apprêtait à formuler des excuses, Tamara coupa net la conversation en prétextant qu’elle était fatiguée.

Un silence gêné s’installa dans la pièce alors que Haytham cherchait ses mots pour réparer son erreur. Respectant la décision de Tamara de mettre fin à la discussion, il acquiesça doucement. « — Excuse-moi, Tam… » murmura-t-il d’une voix douce et empreinte de compréhension. Mais avant qu’il ne puisse ajouter quoi que ce soit, l’intrépide Tamara Lond avait déjà quitté la pièce, reprenant le chemin de leur chambre. Haytham resta seul avec ses pensées, confronté à ce désagréable sentiment de culpabilité qui l’envahissait.

Les minutes passèrent, mais Haytham n’osa pas suivre Tamara immédiatement. Il décida de lui accorder l’espace dont elle semblait avoir besoin pour se calmer. Après un court moment de réflexion, le demi-dieu se dirigea doucement vers la chambre. Il gratta légèrement la porte avant d’entrer, respectant l’intimité de sa femme, puis il osa pénétrer dans la pièce.

« — Je suis désolé », commença-t-il avec sincérité. Puis, il s’approcha et se glissa dans leur lit, invitant Tamara à le rejoindre. « — Viens ! » Il ouvrit les bras, l’incitant presque aussitôt à s’y blottir. « — Tu as raison, on va faire comme les autres parents et gérer nous-mêmes. Je ne veux pas te mettre les nerfs. Je crois que ces derniers jours ont suffisamment été éprouvants pour nous. Je ne vais plus évoquer Chiron, ni la colonie ni tout ce qui s’y rapproche. On va se débrouiller par nous-mêmes. »