The best definition of failure | ft. Maisie Cooper

Avec lassitude, je parcourais le rapport de la dernière mission de l’équipe delta, censée prendre l’une de nos récentes cibles en filature. Une mission rapide, visant à quadriller une petite zone mais qui pour autant, ne devait pas être prise à la légère ou survolée. Pour le moment, nous n’étions qu’à la phase deux de mon plan en trois étapes, et celle-ci consistait à évaluer et recréer les trajets et les habitudes de la cible avec exactitude afin de mieux l’appréhender plus tard. Sans approximation et surtout, je l’espérais : sans bavure. Le demi-dieu avait à plusieurs reprises été aperçu à cette endroit, ce qui me confortait dans la suite de mes projets. Nous avancions comme je l’avais prévu et delta avait bel et bien confirmé mes hypothèses concernant le planning de la cible. Je n’attendais rien de plus pour le moment, chaque chose en son temps. Petit à petit, l’étau se resserrerait et avant qu’il n’ait pu soupçonner quoique ce soit, nous lui tomberont dessus avec une poigne d’acier et nous frapperons fort et bien. Alors, le BEM pourra s’enorgueillir de cette nouvelle victoire à ajouter à son prestigieux tableau de chasse déjà bien fourni et reluisant.
D’un geste sûr, je validais le rapport qui attestait du succès de l’équipe delta, avant de le ranger soigneusement. Dès demain, ils partiraient en simulation, afin de préparer cette troisième phase plus offensive et d’être en mesure d’anticiper chaque cas de figure qui pourrait se présenter à eux en situation. Hors de question de se laisser surprendre par un évènement indésirable ou un détail inattendu. Ces choses-là ne sont destinées qu’aux amateurs et j’aimais à penser que nous n’en faisions pas partie. Au BEM, nous étions bien au-dessus de tout cela et ce sera vrai tout le temps où je serai à la direction de cette section. Voilà une promesse que je comptais bien tenir.

Le téléphone sur mon bureau sonna et je décrochais à peine les premières notes de l’appel entendues.❝Caldwell...❞ Mon interlocuteur qui me fit un rapide résumé de la dernière action en vigueur qui avait pour objectif de ramener notre prisonnière échappée entre nos murs. Mais malheureusement, ce bilan était à bien des égards, loin de me plaire.❝Je vois. Amenez-là à l’infirmerie, je vous y rejoins.❞ je raccrochais avec un soupir contrarié. Voilà typiquement le genre de chose qui m’agaçait au plus haut point et qui tendait à ternir la crédibilité de nos équipes. Car non seulement l’agent que j’avais envoyé avait échoué sur toute la ligne, mais en plus, elle avait trouvé le moyen de se blesser durant ce court laps de temps où elle avait mis le nez dehors. Je fermais les yeux et inspirais profondément pour laisser s’échapper toute ma frustration. Certaines choses étaient visiblement encore à revoir et je comptais bien remettre de l’ordre dans tout ça : à commencer par l’agent Cooper qui revenait bredouille même avec les tâches les plus simples. J’allais m’occuper d’elle. Personnellement. Et j’allais le faire dès maintenant.

Je me levais avec raideur et quittais mon bureau pour prendre la direction du secteur médical du bâtiment, là où se trouvait effectivement l’infirmerie, que j’avais fréquenté et dans laquelle j’étais restée de nombreux mois après le raid de 2015. Une année difficile, dont je préférais ne plus parler et ne plus avoir à me remémorer. Pourtant, c’était bien ces mêmes couloirs que j’empruntais aujourd’hui pour demander des explications à mon agent. Mes talons claquaient à intervalles réguliers, annonçant ma présence bien avant que mon ombre droite et guindée n’apparaisse derrière la porte aux vitres floutées. Trois coups secs avant de reprendre cette posture rigide que l’on me connaissait.
Elle était là, assise sur l’un des lits alors qu’une infirmière s’occupait de sa blessure. Je la jaugeais en silence et on m’informa rapidement de sa situation médicale. Je hochais la tête pour toute réponse, inutilement rassurée sur un état de fait que je savais déjà loin d’être alarmant. Immobile, je haussais un sourcil inquisiteur :❝Alors ?❞ demandais-je simplement, le ton neutre pour ne pas orienter le débriefing à venir. J’étais curieuse de savoir quels prétextes elle allait utiliser pour justifier son manquement à la mission auprès de moi et j’espérais pour elle qu’elle avait eu le temps d’y réfléchir avant de revenir ici les mains vides. Les mains derrière le dos et le regard dur, je n’avais pas bougé, désireuse de garder une certaine distance entre ce maillon défectueux de mes équipes qui embaumait l’échec, et moi. Autour d’elle, on continuait de s’affairer le plus promptement possible et étonnamment, le plus silencieusement possible. Même l’homme qui était allongé sur le lit du fond observait le silence, donnant une atmosphère soudainement plus pesante à l’endroit déjà empreint d’une certaine lourdeur habituelle. Je la fixais sans ciller, indifférente à ce brusque changement du niveau sonore.

Je savais très bien que j’allais m’en prendre plein la figure du fait que je n’avais pas réussi ma mission. En même temps, je ne voulais pas la ramener au BEM. J’avais prévu de la laisser partir mais je n’avais pas prévu que cette dernière me blesse. Au moins, ce serait plus réaliste que si je n’avais rien eu du tout. En revanche, la blessure qu’elle m’avait infligée me faisait un mal de chien. Ceci dit, je pouvais très bien comprendre qu’elle ne me fasse pas confiance malgré toute la bonne volonté dont j’avais fait preuve à son égard. J’avais jeté mon arme à ses pieds quand même…

Une fois à l’infirmerie, on s’occupa de me soigner comme il se devait. Je savais très bien que je n’allais pas me sortir de ce mauvais pas aussi facilement et que j’allais devoir rendre des comptes à ma supérieur. Contrairement à la plupart des autres agents, je n’aimais pas du tout ma profession et je n’adhérais pas non plus à leur cause. Au début, j’étais venue car on m’avait fait une bonne proposition, mais je ne savais pas vraiment dans quoi je m’étais les pieds. Et puis, mon père avait fait sa réapparition et là, tout avait changé.

Je restais pour le mettre en garde des attaques éventuel et des recherches que l’on faisait sur lui. Il avait donc tout le temps une longueur d’avance grâce à ça. Il ne fallait surtout pas que l’organisme apprenne que j’étais une fille de demi-Dieu car sans ça, je risquais vraiment gros. Je considérais que la terre était assez grande pour que les créatures et les humains puissent y vivre en harmonie. Mais je comprenais aussi que certaines d’entre elles étaient mieux mortes que vivantes. Alors, j’en tuais certaine car je ne pouvais pas toujours rentrer les mains vides.

Ma supérieur entra dans la chambre dans laquelle je me trouvais. Je l’avais entendue arriver de loin et d’après sa démarche, elle n’était pas vraiment contente. Je avais que j’en allais prendre pour mon grade. J’avais réfléchis en amont à ce que j’allais lui dire, même si je savais que ce ne serait pas suffisant pour elle. Elle me regardait de haut comme si j’étais la dernière des merdes et je soutenais son regard sans la moindre difficulté. J’étais connue pour avoir un sacré caractère moi aussi alors si elle voulait jouer à ça, elle ne serait pas déçue.

« Alors quoi ? Je n’ai pas réussi à l’attraper c’est tout. Elle a réussi à me désarmer, on en est venues aux mains, elle m’a blessée et elle s’est enfuie.Il n’y a rien d’autres à dire. J’ai donné sa position et je suis rentrée. »

Non, je n’étais absolument pas désolée. Je ne revenais pas tout le temps les mains vident et j’étais considérée comme une des meilleures sur le terrain. Mais parfois, même les meilleurs peuvent échouer. Je n’avais pas peur d’elle et si elle voulait me renvoyer et bien tant mieux. Je pourrai enfin reprendre une vie normal.

L’atmosphère s’était brusquement densifiée au sein de l’infirmerie, les autres personnes présentes ayant immédiatement compris que ma présence n’augurait rien de bon. Tous, excepté la principale concernée qui continuait d’afficher un air à peine intéressé et passablement désinvolte. Je ne m’attendais pas à mieux de la part de Cooper, qui était malheureusement connue pour son caractère trop emporté et souvent à la limite de l’insubordination. Une des très nombreuses choses que je ne supportais pas dans la vie de tous les jours, en particulier si cela concernait un agent de mon équipe. Le respect était une ressource fondamentale selon moi, car outre le fait d’instaurer une hiérarchie bien définie, il permettait à terme d’établir une relation de confiance entre nous. Etais-je en train de dire que je n’avais pas confiance en Cooper ? Absolument. Et c’était assumé : si la demoiselle voulait voir la situation évoluer de ce côté-là, elle devra s’en montrer digne et travailler en ce sens, bien que je doute que cela soit sa priorité. En ce qui me concerne, je devais bien avouer que je ne recherchais pas non plus sa sympathie. Je ne gagnerais rien de plus dans la vie à l’obtenir et je n’en voyais pas l’utilité. Si j’avais besoin de quelque chose, il me suffisait de le lui réclamer, étant sa supérieure depuis plus de quatre ans. Quelle le fasse en toute amitié ou non n’était pas mon problème.

Ce qui l’était en revanche, c’était qu’elle revenait aujourd’hui les mains vides. Un constat qui révélait son incapacité à remplir sa mission et à faire son travail correctement. Et ça oui, c’était mon problème. Un problème pour lequel je comptais d’ailleurs bien obtenir quelques explications. Aussi, je m’étais postée devant elle, attendant qu’elle daigne bien s’épancher sur sa médiocrité.
Elle le fit, non sans une pointe de désobligeance et d’arrogance à la Cooper. Un muscle se contracta sur ma joue et je la jugeais sans retenue durant quelques instants. Puis je rétorquais, sarcastique :❝Vous voulez dire que cette créature, qui par ailleurs s’est vue retirer toutes ses prédispositions naturelles au combat durant son séjour ici, est parvenue à vous désarmer, vous blesser, et à s’enfuir sans encombre, en laissant un agent formé au BEM par nos soins depuis 2016 au tapis, sans aucun moyen de riposter ou de limiter son champ d’action ?❞ Sans attendre de réponse, je m’approchais lentement, posant les mains à plat sur la tablette au bout de son lit. Appuyée sur mes paumes, je la fixais sans sourciller. ❝Vous savez ce que je pense Cooper ? Je pense qu’un agent normalement aussi qualifié que vous devriez l’être, n’aurait pas pu échouer dans une tâche aussi simple et que cet échec reflète davantage que ce que vous voulez bien me dire. Vous semblez insinuer que vous n’étiez pas suffisamment préparée à l’appréhender, voire même pas assez entraînée vu votre état mais nous savons vous et moi que ce n’est pas le cas, étant donné que vous avez obtenu l’un des meilleurs résultats au cours des dernières simulations. Ce que je pense Cooper, c’est que vous avez choisi la facilité et que vous n’y avez pas suffisamment mis d’implication, en pensant que vos acquis suffiraient à réussir la mission qui vous a été confiée. Nous voyons maintenant à quel point vous aviez tort. Peut-être vous êtes-vous laissée attendrir ou que sais-je d’autre encore…en tous les cas, je déplore votre manque évident de motivation et d’effort. Dois-je vous rappeler le nombre d’agents ayant perdu la vie lorsque nous avons appréhendée cette créature pour la première fois ? Si vous l’ignorez, je peux aisément vous rafraîchir la mémoire, étant donné que j’y étais en personne. Enfin Agent Cooper, vous n’êtes pas sans savoir le danger qu’elle représente, en particulier maintenant qu’elle est libre d’évoluer hors de notre structure ! Et pourtant, malgré cela, vous revenez la fleur au fusil avec un simple "c’est tout" en guise de justification…avez-vous seulement pensé que votre négligence aura probablement des conséquences ? Non bien-sûr que non, vous "n’avez pas réussi à l’attraper, c’est tout" et qu’importe ce qui se passera ensuite, n'est-ce pas ? Vous n'êtes pas sans savoir que ces créatures se nourrissent d'humains...d'enfants...et que c'est précisément ce qu'elle va rencontrer, tôt ou tard, lorsqu'ils s'y attendront le moins.❞ Si le ton était froid, je n'avais pourtant pas élevé la voix, la dureté de mes mots se suffisant à eux-mêmes. Je me redressais, indifférente à la réaction de mon agent. Que cela lui plaise ou non, c'était ma façon de penser et ce que je retirais de cette histoire. Du moins pour le moment, à moins qu'elle ne me serve autre chose que ses boniments. De toute façon, dans un cas comme dans l'autre, cela lui retombera dessus. Qu'elle ne compte pas sur moi pour la couvrir.

D'ailleurs puisque nous en parlions :❝D'autres actions seront évidemment menées pour retrouver cette stryge, mais il faut que vous sachiez que si d'ici-là quelque chose devait arriver, cela relèvera de votre seule et entière responsabilité.❞ l'informais-je sobrement. Si la gamine avait été apte à faire ce qu'on lui avait demandé, la créature serait déjà de retour au bercail à l'heure qu'il est.

J’avais entendu les talons de ma supérieure de loin. Et une chose était certaine, elle était plutôt en colère. Bon, d’accord, de son point de vue à elle, je pouvais tout à fait le comprendre. J’avais clairement merdé sur toute la ligne et j’avais laissé une stryge en liberté. C’était plutôt inconscient quand je faisais le point sur cette mission. Donc, je me doutais tout à fait que j’allais en prendre pour mon grade. Avec un peu de chance, ou de malchance, elle allait me renvoyer. D’une certaine manière, j’en rêvais. J’avais envie de retrouver une vie normal. Mais ce n’était pas aussi facile hélas.

« Eh bien oui, je ne sais pas si vous êtes au courant madame, car j’imagine que vous n’avez pas fait de terrain depuis un certain temps et que donc, par conséquent, vous devez être un peu rouillée, il est difficile de se battre dans la neige et oui, cette stryge a plus d’un tour dans son sac. J’ai rarement des échecs sur le terrain et vous le savez très bien. Certes, il lui manque certaines capacités, mais je peux vous dire de source sûr qu’elle a plus d’un tour dans son sac et qu’elle arrive parfaitement à s’adapter à ses nouvelles conditions. »

Bon, clairement j’en rajoutais un peu et oui, j’étais insolente. Mais je n’appréciais pas le fait de me faire gronder comme si j'avais cinq ans et je n’aimais pas non plus le fait qu’elle ne cesse de me rappeler de la perte des agents qui avaient eu lieu le jour où ils avaient arraché cette stryge de son habitat. En même temps, s’ils l’avaient laissé en paix… Mais bon, pour le coup, j’avais un peu le cul entre deux chaises car cette dernière tuait des humains et on ne pouvait pas la laisser faire sans réagir. Je reculais car elle avait avancé son visage vers le mien. Il était tellement prêt que je pouvais sentir son souffle.

« Et moi vous savez ce que je pense ? Même si je sais très bien que vous vous en fichez. Vous n’étiez pas sur le terrain et vous ne savez pas non plus comment ça s’est passé alors arrêtez avec vos morceaux de violons au sujet des pertes que vous avez eu. Ca arrive même au meilleur. Vous aussi vous n’avez pas toujours réussi vos missions haut la main que je sache. »  Je levais les yeux au ciel. « Oh ça va… Je sais très bien qu’une deuxième équipes à été déployée pour se lancer sur ses traces à partir du moment où je me suis mise en chemin pour rentrer. » Je ne quittais pas son regard. Très franchement je n’avais pas peur d’elle et encore moins des conséquences de mes actes.

« Je n’ai aucun problème avec ça. Car je sais très bien que dans un premier temps elle sera tellement effrayée, qu’elle va d’abord chercher à se mettre à l’abri des regards. Le repas ne va pas tout de suite faire partie de ses priorités. »

Elle était impertinente, effrontée sur bien des points et outrepassait véritablement les limites du respect et de la bienséance. Parfois, je ne pouvais m'empêcher de penser que nous l'avions recrutée trop tôt, trop jeune. La petite prenait des attitudes de princesses entre ces murs bien trop rigoureux pour qu'elle puisse se le permettre. Ma position hiérarchique, bien plus que notre réelle différence d'âge, me donnait le privilège de discourir sur son retour de mission et je ne m'en étais guère privée. Ici au BEM, nous n'avions pas le droit à l'erreur et il fallait que la jeune femme le comprenne. Toutefois, loin de se remettre en question, elle s'octroya le droit de me servir à son tour quelques répliques cinglantes, visant précisément là où il fallait pour heurter les anciennes blessures. Non, je ne faisais plus de terrain comme elle le soulignait si bien, mais ce n'était ni par choix, ni par commodité. On me l'avait imposé et cela ne me convenait pas plus qu'aux autres, quand bien même ce poste à la tête de la section me convenait. Néanmoins, je ne laissais rien entrevoir de cette contrariété intérieure et me contentais de serrer brièvement ma mâchoire, la laissant poursuivre dans sa sottise juvénile que je fis mine d'écouter attentivement avant de répliquer sans sourciller :❝J'ai certainement fait plus de terrain durant ces dix dernières années que vous durant toute votre carrière. Alors effectivement, je suis au courant. Je ne pensais simplement pas que vous étiez du genre à vous laisser submerger par quelques flocons de neige. De nous deux, il semblerait que ce soit vous qui êtes rouillée. Je m'attendais à mieux de votre part.❞ rétorquais-je sans me laisser atteindre, mais en mettant tout de même en lumière les incohérences de son discours. Notre institution ne recrutait -pour sa majorité- que des éléments ayant témoigné d'une certaine témérité et des qualités requises face à de nombreuses situations jugées comme étant représentatives des diverses missions qui faisaient le quotidien du BEM. Maisie, comme toutes les autres recrues s'en était acquittée et forte de cette expérience qui lui avait valu de décrocher sa place parmi nous, il me semblait totalement invraisemblable que quelque chose d'aussi insignifiant que la neige eût pu la perturber. Alors, il n'y avait qu'une explication possible à ce long tissu d'annêries qu'elle  espérait me servir : la Cooper se cherchait des excuses et espérait me faire gober son baratin.

❝Je vous serai gré de bien vouloir cesser de vous comparer à moi, Mademoiselle Cooper car nous ne sommes assurément pas faites de la même étoffe. Peut-être pourrez-vous vous le permettre lorsque vous états de service seront au moins équivalents aux miens, ce qui est loin d'arriver compte-tenu de vos exploits d'aujourd'hui.❞ rectifiais-je pour remettre les points sur les I et lui faire dégonfler les chevilles par la même occasion. On allait redescendre un peu de son piédestal jeune fille, et arrêter de se voiler la face : le jour où elle pourra prétendre jouer dans la même cour que moi n'était pas encore arrivé. ❝Vous avez raison, je n'étais pas présente et tout bien considéré, c'est finalement pour le mieux car cela m'aura évité d'assister à ce fiasco et de constater votre incompétence de mes propres yeux.❞ répliquais-je en toute sincérité sans prendre de pincettes. Constater qu'un membre de mon service avait échoué avait déjà une très nette tendance à m'agacer, mais être témoin de cet étalage d'incompétence aurait littéralement eu de quoi me faire sortir de mes gonds. Pourtant, c'était un visage sévère que j'offrais à Copper, mais dont chaque expression était parfaitement maîtrisée car j'estimais avoir bien d'autres occasions de lui retourner mon plein mécontentement en des circonstances ultérieures. C'était même certain.

J'esquissais l'ombre d'un sourire, dépourvu de chaleur, lorsqu'elle m'expliqua les démarches  qui selon elle, allait entamer la créature en liberté :❝J'ignirais que vous étiez vous-même une stryge, Cooper ou que à défaut, vous soyez une experte en la matière. Voilà qui change tout, bien-sûr...❞ ironisais-je en le na prenant pas au sérieux une seule seconde, préférant rabaisser ses propos car ce n'était pas ce que j'attendais d'elle.❝Dans ce cas, nous comptons tous sur vous pour nous signaler lorsqu'elle aura fini de s'installer , de prendre ses aises, et lorsqu'elle sera prête à regarder le menu pour passer à table.❞ terminais-je d'un ton railleur. J'avais répondu à cet échange de politesses tendues en restant parfaitement immobile, les mains derrière le dos, mes paroles se suffisant à elles-mêmes comme toujours. Mais enfin, je m'éloignais de quelques pas, lui tournant le dos et appréciant un instant de ne plus avoir ce visage de la défaite sous les yeux. Puis dans le silence, je lançais inopinément d'une voix sèche :❝Rappelez-moi pourquoi vous vous êtes engagée au sein du BEM, mademoiselle Cooper ?❞ Cela ne faisait jamais de mal, et je pense que ce rappel était effectivement grandement nécessaire aujourd'hui.

JJ’étais vraiment dans la merde. J’étais de très mauvaise humeur en plus du reste, car je détestais les personnes pour qui je travaillais. Des êtres inhumains qui faisaient des expériences sur des créatures qui n’avaient rien demandés. Je ne voulais pas être complice de tout ça. Mais je devais le faire pour mon père. Sauf que parfois, j’avais vraiment du mal à prendre sur moi. J’étais clairement en train d’en prendre pour mon grade et il devenait de plus en plus compliqué pour moi de rester muette sans lui dire tout ce que j’avais sur le coeur. Mais j’avais toujours eu le sang chaud sur ça.

A en juger par la tête qu’elle faisait, j’avais réussi à taper là où ça faisait mal quand j’avais abordé le sujet du terrain. Elle m’en mettait plein la figure et je n’étais pas du genre à rester sans rien faire tout en me laissant démonter. Je la regardais droit dans les yeux et je ne baissais pas le regard. J’avais vu que cette dernière avait serré la mâchoire et un petit sourire se dessina sur mon visage. Je préférais ne pas répondre à sa première attaque car au fond, je savais très bien que cette dernière avait raison.

Non en effet, nous n’étions pas fait de la même étoffe. Contrairement à elle, j’avais des sentiments humains et elle absolument pas. Je me mordais les joues pour ne pas lui balancer ça en pleine figure tant qu’à faire. « Ce fiasco ? Je vous signal que mes échecs sont rares alors cessez de me parler comme si j’en faisais tous les jours et il n’y a que ceux qui ne font pas de terrain qui ne font pas de conneries. » Non mais et puis quoi encore… Il était hors de question que je me laisse faire.

J’haussais un sourcil. « Je les ai étudié tout comme j’ai étudié les autres créatures. C’est un peu la base quand on fait du terrain, mais vous ne devez plus vous en souvenir, mais vous ne devez plus en souvenir depuis le temps que vous n’en faîtes plus. Elle est blessée donc elle ne va rien faire et s’y ça se trouve, à l’heure où nous parlons, elle a été capturée. » Oui, je sais, j’allais vraiment trop loin mais que voulez-vous, s’était tellement jouissif de pouvoir lui balancer tout ce que j’avais envie de lui dire.

« Eh bien, vous ne savez rien sur moi apparemment. Je ne me suis pas recrutée. On est venu me chercher car apparemment, j’avais certaines prédilections pour le terrain. »

Chaque seconde passée en sa compagnie devenait de plus en plus pénible et avait cette nette tendance à me lasser. J’avais parfois cette même impression lorsque je devais entamer une conversation avec Lond : en cela, les deux femmes se ressemblaient étrangement, ce qui n’était certainement pas une qualité. Rien n’était plus décevant que de constater que c’était ce genre de point commun qui rassemblait mes agents. Heureusement, ils n’étaient pas tous comme ça. D’autres avaient à cœur de remonter le niveau et ils parvenaient à satisfaire mes exigences professionnelles parfois : entre nous, deux brebis galeuses, c’était déjà bien assez.
Mes propos étaient virulents, j’en avais bien conscience, mais cela m’importait peu étant donné que je recevais le même lot de reproches de sa part. Des reproches infondés, où il y avait péremption soit dit en passant car Cooper s’était attaquée à une période de ma vie où elle n’était même pas encore présente pour être à-même d’en parler légitimement. Une époque tristement révolue, mais qui m’avais permis de développer d’autres aptitudes non moins utiles avec le temps. Cela avait été un long processus que de m’en rendre compte, mais le constater avait permis une certaine forme d’acceptation quant à l’absence définitive de terrain. Et elle n’avait aucun droit de juger cela, ni même d’avancer la moindre remarque.❝Ceux qui ne font pas de terrain ne sont pas dans mon unité, et ne sont donc pas sous ma responsabilité directe, ce qui clos le débat. Et sachez que pour moi un échec, même rare et isolé, reste un échec de trop. Sachant cela, ce sera donc le dernier que je tolèrerai vous concernant. ❞ répliquais-je d’un ton impérieux, en posant un regard négligent sur l’homme resté alité au fond de l’infirmerie. Blanc comme un linge, il semblait soudainement s’être pris de passion pour la décoration du plafond, refusant obstinément de tourner la tête dans notre direction, bien qu’il pût entendre chaque mot acerbe prononcé dans la pièce.

Une nouvelle fois, elle me rappela le fait que je ne fasse plus d’opération concrète en tant qu’agent, prenant visiblement un malin plaisir à le faire et usant de la seule arme qu’elle avait pu entrevoir contre moi sans aucune retenue. Je poussais un profond soupir ennuyé, fermant les yeux un bref instant.❝Si le fait que je ne fasse plus de terrain est le seul élément que vous parveniez à retenir de notre conversation, j’ai bien peur que cela soit sans intérêt et assez peu approprié car il est question de vous aujourd’hui Cooper, et pas de moi. Ce qui rend la chose tout à fait hors de propos, en plus d’être particulièrement lassante. Non, je ne fais plus de terrain et j’ai une nouvelle inédite pour vous : c’est le cas depuis plusieurs années maintenant, tout le monde le savait et s’en était déjà rendu compte avant que vous ne le répétiez une bonne demi-douzaine de fois pour espérer me faire sortir de mes gonds ou déclencher un je-ne-sais-quoi d’inopportun chez moi. Pouvons-nous passer à autre chose maintenant ? ❞ Je ne la laissais pas répondre, perdant patience et enchaînant sur ce qui m’intéressait vraiment : la stryge et la prise de responsabilité manquée de Cooper.❝Elle est blessée, je suis ravie d’entendre qu’à défaut de l’avoir supprimée comme je vous l’avais demandé, vous êtes au moins parvenue à viser convenablement. Toutes mes félicitations. Mais son état la rend d’autant plus imprévisible que c’est son instinct de survie qui prendra le relais, à terme.❞ Ce qui soulevait encore d’autre complications imprévues et non moins dangereuses.❝Vous êtes peut-être sourde aux arguments que j’ai pu vous apporter depuis le début de notre entrevue, mais j’aime à penser que vous n’êtes pas aveugle Cooper. Si elle avait été capturée, elle aurait été amenée ici directement et je peux vous assurer que comme vous, je n’ai vu aucune stryge ni aucune autre créature mythologique passer par ce couloir depuis que je suis entrée dans cette pièce. Par ailleurs, il existe une invention très utile, appelée le téléphone, qui me permet de savoir en temps réel l’état d’avancement des manouvre extérieures du BEM. Si la créature avait été capturée croyez-moi, nous serions déjà au courant.❞ Je sortis mon portable de la poche intérieure de ma veste et le lui mis brièvement sous le nez pour illustrer mon propos avant de le remettre à sa place contre moi.

❝Bien-sûr qu’ils sont venus vous trouver, c’est la manière classique d’opérer. Mais à ce que je sache, vous avez bien signé votre contrat toute seule ? A moins que quelqu’un avec des prédispositions pour la calligraphie n’ait attaché les lettres entre elle à votre place en bas de la page ? ❞ lançais-je avec mauvaise humeur. ❝Si aptitudes il y avait, elles sont loin d’être si évidentes à déceler aujourd’hui.❞ C’était vraiment n’importe quoi. Mon prédécesseur avait fait n’importe quoi. Rien d’étonnant à ce que Cooper fasse n’importe quoi à son tour. Si c’était à refaire et que j’avais à choisir, elle n’intègrerait certainement pas nos rangs. Heureusement que j’étais là pour remonter la barre et empêcher que d’autres têtes brûlées sans talent ne soient acceptées…

J
avais tellement envie de lui mettre mon poings dans la figure. Non mais franchement elle se prenait pour qui celle-là ? Bon, d’accord, pour une de mes supérieurs et je ne pouvais absolument rien faire. De toute façon, elle arrivait à contrer absolument tout ce que je lui envoyais dans la figure. Une chose était certaine, elle avait plus d’une corde à son arc et j’allais vraiment galérer pour me sortir de cette situation. Je ne voulais pas tuer des créatures qui avaient le droit de vivre. Oui d’accord, je ne parle pas des dangereuses qui ont attaqué mes parents plus jeune.

Elle me lança qu’elle n’accepterait plus aucun échec de ma part et même si j’en avait vraiment, vraiment très envie, je savais que je ne devais rien répondre à ça. Sans quoi, je risquais vraiment d’aggraver mon cas et ce n’était vraiment pas une bonne chose. Je me contentais donc de la regarder avec toute la haine et le dégoût que je ressentais pour elle. Car non, je ne baissais jamais le regard, peu importe qui se trouvait devant moi. Elle voulait me virer ? Grand bien lui fasse, je pourrais enfin avoir une vie normal et passer à autre chose.

J’allais répondre au pic qu’elle venait de me lancer, mais cette dernière ne m’en laissa pas le temps. Elle enchaîna directement sur la stryge que j’avais grassement laisser partir. Car oui, j’avais clairement toutes les capacités de la tuer si j’en avais eu envie. Mais contrairement à mon interlocutrice, j’étais humaine et j’agissais comme tel. « Non, je ne suis pas sourde et si c’est pour ne plus jamais vous entendre, je vous avoue que ça ne me dérangerait vraiment pas. Oui elle est blessée et je sais que ça blessure l’handicapera bien assez pour qu’elle ne puisse pas attaquer qui que ce soit. Elle a du se réfugier loin des regards et elle doit saigner abondamment. Donc il suffit juste de la cueillir. » Quand elle me montra son téléphone, je me retins pour ne pas le lui balancer en pleine figure. J’espérais que le destin soit avec moi et que ce dernier se mette à sonner pour lui dire que la créature avait été capturée.

« Waw ! Tant de gentillesse ! Vous êtes vraiment adorable. Vous me direz quand je dois pleurer hein ? Malheureusement, je suis là et vous n’allez pas avoir d’autre choix que de faire avec car vous êtes bien placée pour savoir que vous ne pouvez pas renvoyer les gens n’importe comment. C’est moche hein ? »